Anne Brégeaut.
Croisant l’imaginaire des contes et des éléments de la vie quotidienne, les peintures d’Anne Brégeaut dessinent un univers étrange où cohabitent la douceur et l’angoisse.
Sous leurs airs enfantins de peinture vinylique aux couleurs fraîches, les oeuvres d'Anne Brégeaut se placent dans un perpétuel entre-deux : entre réalisme et fantaisie, entre le temps du souvenir et celui de la projection, entre peinture et sculpture, toile et volume. Le monde imaginaire lui-même, souvent évoqué, l'est de manière volontairement ambiguë, à la fois clos et sans limite. Éléments gais et angoissants se côtoient, rapprochés par l'usage de la perspective rabattue, dans un univers spatio-temporel teinté d'étrangeté. Comme dans les contes, les images d'Anne Brégeaut sont colorées et parsemées de personnages. Des mondes imaginaires s’y déploient, fortement inspirés du nôtre, métamorphosé par des jeux d'échelle et de déplacements. Comme dans les contes, on y prend le thé, on parcourt des forêts et des îles enchantées. Comme dans les contes, les tableaux ne sont pas aussi roses qu'on le croirait d’abord. Il s'y cache des symboles et des éléments ambigus que seuls les yeux avertis savent détecter. Parfois les titres euxmêmes recèlent des jeux de mots qui accentuent l'ambivalence et encouragent l'interprétation psychologique ( la Forteresse de la solitude, 2010 ; T'avais qu'à pas, 2009...). D'autres fois, une référence à une série télévisée ou au cinéma vient se glisser, apportant une atmosphère particulière ( Brid- get l'attendait avec impatience, 2008, Hollywood, 2014). De fait, ses oeuvres sont traversées de multiples thèmes : l'intimité bien sûr, mais surtout le rapport à l'autre, par le désir, la dispute ou le manque, mais aussi l'illusion, l'onirisme et la construction d'espaces mentaux. La peinture sort de ses cadres habituels, en pics ou arrondis qui dessinent montagnes et corps enlacés. Elle se mêle aussi au mobilier, aux tables et aux étagères qui sont parfois enrôlées dans la narration ( le Petit Vase vert, 2013 ; Entre nous, 2014) pour évoquer un intérieur domestique ayant subit d'étranges transformations. Souvent, l'artiste multiplie les points de vues, comme avec ses Paysages oubliés, sculptures sur roulettes qui permettent de déplacer, tel un vieux jouet, un morceau de paysage au goût
de souvenir d'enfance. En creux, ses oeuvres dessinent une certaine fragilité : celle de la mémoire, des objets et par extension celle des êtres humains. Aujourd'hui exposée dans de nombreux centres d'art en France (Le Creux de l'enfer à Thiers, le Centre d’art contemporain de Meymac, Le Plateau-Frac Ile-de-France, Le Parvis de Tarbes, la Maison des Arts de Malakoff ou cet été au Centre d’art contemporain de Pontmain) et à la galerie Semiose, à Paris, Anne Brégeaut a réalisé son post-diplôme à l'école de Nantes en 1994-95. Elle en garde le souvenir d'échanges intenses entre les étudiants français et étrangers mêlés et avec les personnalités du milieu de l'art (artistes, galeristes, critiques, curateurs...) qui intervenaient chaque mois dans des moments à la fois conviviaux et riches professionnellement.
Pascaline Vallée est critique d’art indépendante.
Blending the imaginary world of tales and elements from everyday life, Anne Brégeaut’s paintings evoke a strange place that is a mix of gentleness and anxiety.
Behind their childlike appearance as brightly colored vinyl paintings, Anne Brégeaut’s works inhabit an intermediary state, between realism and fantasy, between the time of memory and that of projection, between painting and sculpture, canvas and volume. And her frequent evocations of the imaginary world are always deliberately ambiguous; it is at once closed and limitless. Partaking of the same spirit, cheerful and disturbing elements cohabit, brought together by the use of foreshortening. Placed on the same plane, they coexist in a spatio-temporal world that is infused with strangeness. As in tales, Brégeaut’s images are colorful and dotted with figures. Imaginary worlds unfold here, in which features of our own world are metamorphosed by the play of scale and displacement. Also as in tales, people take tea, travel through magic forests and islands. And as in tales, the picture is not quite as rosy as it looks. These images contain ambiguous symbols and features that only discerning eyes will detect. Sometimes, the titles themselves are ambiguous or contain wordplay that heightens the ambiguity, encouraging psychological interpretations ( La Forteresse de la solitude, 2010; T'avais qu'à pas [You just had to…], 2009...). In others, a reference to a TV series or a film instills a distinctive atmosphere ( Bridget l'attendait avec impatience [Bridget waited impatiently], 2008, Hollywood, 2014). In fact, there are multiple themes running through these works: intimacy of course, but above all the relation to the other, whether via desire, argument or lack, or again illusion, dream and the construction of mental spaces. As painting sets out to conquer life here, so it escapes its usual frame in peaks and curves that draw mountains and intertwining bodies. It enlaces itself with tables and shelves that are pressed into the narrative ( Le Petit Vase vert, 2013; Entre nous, 2014) to evoke domestic interiors that have undergone strange transformations. Often, the artist multiplies viewpoints, as in her Paysages oubliés, sculptures of bits of landscape that can be moved around on wheels, like childhood memories. Implicitly, her works point to a certain fragility: that of memory, objects and, by extension, our own fragility as human beings. Now exhibited in numerous French art centers (Le Creux de l’Enfer in Thiers, Centre d’Art Contemporain de Meymac, Le PlateauFRAC Ile-de-France, Le Parvis de Tarbes, La Maison des Arts de Malakoff, and, this summer, at the Centre d’Art Contemporain de Pontmain) and at Galerie Sémiose in Paris, Anne Brégeaut did her post-diploma course in Nantes in 1994–95. She remembers it as a time of intense exchanges, both with students (French and international) and with art world figures (artists, gallerists, critics, curators) who, every month, contribute to the friendly, rich and professionally fruitful exchanges held at the school.