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Laure Gauthier

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La Lettre volée, 52 p., 14 euros Le récit poétique Kaspar de pierre de Laure Gauthier s’ouvre sur la béance à peau nue de l’enfant qui s’est échappé d’une captivité de dix-sept ans et qui chemine vers les portes de Nuremberg en 1828 sans un mot en bouche. Le Kaspar de Laure Gauthier échappe à son mythe en se conjuguant au futur antérieur. Dans sa marche, « l’enfant placard » trébuche dans sa tête sur les images d’un monde éclaté de lumière et de sons, que le silence des pierres s’obstine à enterrer. Son corps aux abois est une caisse de résonance où le blanc du langage l’attire dans le trou de l’origine. JL est le sujet indétermin­é d’un verbe premier à venir. La langue poétique de Laure Gauthier, depuis Marie weiss rot et la Cité dolente, poursuit cette quête d’un nom « propre » et creuse la terre comme pour plonger en apnée dans la matrice humide. De la maison 1 à la maison 3, Kaspar se fait détrousser par tous les récits de l’Europe bourgeoise. Pourquoi ne parle-t-il pas, l’enfant au corps marbré de rose? L’enfance maltraitée est un puissant leitmotiv de la syntaxe dégondée et heurtée de l’auteur. Le corps traumatisé de Kaspar s’arrime à ses perception­s fulgurante­s et ses sensations à fleur des choses, ballotté entre l’impossibil­ité d’un « je » ou d’un « il », que l’auteur a ramené au bégaiement d’un JL. « L’enfant cochon » est sorti du ventre d’une paysanne et a chu dans la fange, ne lui offrant pour tout diagnostic d’avenir que l’insomnie et les épisodes maniaques. « L’enfant placard », « l’enfant cochon » ou « l’enfant jouet » mesure le vertige sous ses pas qui l’emmènent vers l’embouchure terrible d’une histoire qu’il n’a pas écrite. Que peut un corps quand il ignore ce qui fait de lui un homme? Comme le suggère la poétesse Laure Gauthier, c’est par la voix de la poésie que Kaspar remontera de l’oubli où la violence l’a tué.

Claire Tencin

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