Bernar Venet
Poetic ? Poétique ?
Jean Boîte, 376 p., 39 euros Bernar Venet poète? Cette anthologie bilingue le prouve et, par une radicale continuité, fait des oeuvres bien connues du sculpteur mathématicien des extensions tangibles de ces statements poétiques. Si le travail conceptuel de Venet se présentait en 1999 au Mamco de Genève comme « apoétique », il n’en était pas moins accompagné d’un recueil qui trahissait l’unité mathématico-poétique du projet esthétique. L’anthologie décline des calculs ( Jeux de groupes), des équations ( Abstrait), des listes, des métapoèmes de type énoncés grammaticaux ( Les Propositions coordonnées et juxtaposées), mathématiques ( Lorsque T désigne) ou descriptifs ( Poème composé) mais aussi des surimpressions (Saturation 1) : 248 poèmes qui rappellent la poésie concrète, l’Oulipo, Art and Language ou les Poem Schema de Dan Graham. Cependant, la suite de fragments poétiques, comme une montée en intensité dans l’abstraction, porte une oeuvre en soi. De l’espace textuel au contenu langagier, il s’instaure une harmonie que Véronique Perriol désigne comme un « neutre » qui confine l’incompréhension des énoncés et leurs infinies combinatoires à une forme de « non-vouloir-saisir » parfaitement zen et intemporel. De même, les listes d’adjectifs, comme Traités qui opère des variations musicales sur l’interprétation des participes passés: l’esprit oscille d’un sens à l’autre, sans qu’un discours ou même le poids des mots ne s’impose. L’évanescence transparente de ces combinaisons et le paradoxe de cette légèreté s’éclairent réciproquement avec les structures abstraites en acier de Venet qui procurent une même sensation d’élan en dépit de leur masse. Équilibrée, parfaitement rythmée, la poésie sans verbes de Venet est un espace ouvert, solide et pourtant, sans pesanteur.
Magali Nachtergael