Éric Tabuchi
Poursuite, 256 p., 38 euros Pour le photographe Éric Tabuchi, le paysage ne se donne pas comme une unité stable. Au contraire, il s’élabore en une multitude d’éléments qui se répondent: objets naturels, constructions humaines et images. Pour saisir cet arrangement complexe, Tabuchi prend et collecte des photographies et les organise en des ensembles et dispositifs qu’il n’a de cesse de renouveler : exposition, site et, aujourd’hui, livre. On sait, depuis Fenêtre sur cour, que les photographes supportent mal l’immobilité… Celle-ci a poussé Tabuchi à utiliser des bases de données pour arpenter le monde et ses constructions. De cette exploration méthodique, il ramène des centaines d’images de formes architecturales, singulières parfois jusque dans leur banalité. Il les retouche pour les conformer aux standards de la photographie d’architecture et les intègre à une base de données que l’on peut explorer en ligne. Ainsi traitées, les images acquièrent une familiarité qui permet de passer de l’une à l’autre sans heurt, y compris quand elles montrent des constructions distantes dans le temps et l’espace. L’ouvrage ne redouble pas le site. Il fonctionne selon sa propre logique, donne à la fois la mesure de l’entreprise et en livre une interprétation vertigineuse. Page après page, l’organisation des images produit un mouvement continu de construction et de déconstruction. Une forme s’esquisse, s’élève, puis se dissout dans une autre comme une respiration du bâti. Traitées sans texte ni légende, les images ne renvoient qu’aux autres images et à la pulsion toujours délirante du geste architectural. En creux, se dessine l’architecture muette des data farms, monuments invisibles des paysages de données. C’est dans cette espace entre le monde et ses images qu’opère l’atlas d’Éric Tabuchi.
Nicolas Giraud