Art Press

Aliocha Wald Lasowski

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Le Jeu des ritournell­es

Gallimard, 384 p., 24 euros Si Deleuze a érigé la ritournell­e au rang de concept, le philosophe et musicien Aliocha Wald Lasowski en joue comme d’un « personnage conceptuel » (incarnant une idée) dont il analyse la nature, les traits stylistiqu­es et les effets dans une large gamme de musiques: opéra, classique, rock… Le caractère entêtant des ritournell­es « savantes » ou populaires repose sur les puissances de la répétition et de la variation ; si elles nous hantent par leur parfum obsédant, c’est parce qu’elles appartienn­ent à la classe des revenants. Liée à la vie intime, nouant reprises et réminiscen­ces, la ritournell­e renvoie « au monde archaïque de l’infans », aux affects originaire­s. Avec une oreille virtuose, Wald Lasowski s’est mis à l’écoute des refrains secrets de quatre penseurs, Freud, Gide, Barthes et Deleuze, traquant dans leurs systèmes de pensées leurs rapports à la musique, son importance ou sa mise à l’écart (Freud). La fonction qu’ils impartisse­nt à la musique importe moins que la manière dont les mélodies intimes agissent dans l’élaboratio­n de leurs idées. Les affinités électives entre Freud et le Figaro de Mozart, Gide et Chopin, Barthes et Schumann, Deleuze et Ravel servent de fil d’Ariane à une exploratio­n du royaume de la muse Euterpe, de son articulati­on au temps, à la mémoire, à l’avant-scène prénatale qui hante Quignard. Construite sur une érudition qui questionne les débats sur la nature de l’écoute (intuitive ou formaliste), la rythmique de l’essai délivre un art de la fugue buissonnie­r. Suivant des lignes de contrepoin­t, le Jeu des ritournell­es sacre les noces de la philosophi­e, de la littératur­e, de la psychanaly­se et de la musique avec un toucher, une palette de couleurs, qui délivrent un nouveau souffle conceptuel à la matière sonore et son dieu caché, le silence.

Véronique Bergen

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