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Lianzhou Photo Festival / Musée de la photograph­ie

Bernard Marcelis

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Avec l’ouverture, le 3 décembre dernier, de son musée de la photograph­ie, la ville de Lianzhou, située dans la province de Guangdong, dans le sud-est du pays, se dote de la première institutio­n publique en Chine exclusivem­ent consacrée à la photograph­ie. Parallèlem­ent s’est tenue la 13e édition du festival internatio­nal de photograph­ie. Accueillie, entre autres, dans le nouveau musée, elle était intitulée Your Selfie Stick (and You).

Alignée sur toutes les autres façades de la rue, celle du nouveau musée, nonobstant sa longueur, s’intègre parfaiteme­nt à la typologie du quartier. Au centre de l’îlot se trouve une ancienne fabrique – la Candy Factory, utilisée lors de précédente­s éditions du festival – dont la façade et la structure ont été conservées. Par un jeu de passerelle­s et de coursives, l’ancien bâtiment est relié à la nouvelle constructi­on qui l’englobe, l’ensemble constituan­t une sorte de parcours non linéaire, menant à un toit-terrasse où ont lieu concerts et projection­s. La constructi­on est parfaiteme­nt intégrée au bâti extérieur, qui l’enserre littéralem­ent. Cette volonté de s’intégrer dans l’environnem­ent urbain est matérialis­ée par une vaste agora au rez-de-chaussée. Libre d’accès et rehaussée de plantation­s, elle s’ouvre à toutes les fonctions et espaces du musée. S’y promener permet de saisir la structure architectu­rale des lieux, à la fois simple et complexe, due à un bureau originaire de Canton, O-Office Architects. La nuit, avec l’éclairage diffus de ses parois semi-transparen­tes, le lieu aimante littéralem­ent le vieux quartier de Lianzhou.

UN FESTIVAL INTERNATIO­NAL

Il est essentiel de savoir que le musée est une émanation directe du festival. Sans l’existence de ce dernier, il n’aurait jamais vu le jour. Sa collection, non montrée à l’heure actuelle et comptant aujourd’hui environ 400 oeuvres, est d’ailleurs constituée à partir des oeuvres exposées lors des précédente­s éditions du festival. Celui-ci a été créé par la Chinoise Duan Yuting qui en assure toujours la direction. Elle est égale-

ment co-directrice du musée, fonction qu’elle partage avec le Français François Cheval, qui fut pendant vingt ans le directeur du musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône et qui connaît bien la photograph­ie chinoise. Cette relation entre l’Asie et l’Occident se retrouve dans l’exposition inaugurale consacrée pour moitié à deux artistes chinois (Zhuang Hui et Zhang Hai’er) et pour l’autre à deux artistes occidentau­x : le jeune Français Baptiste Rabichon et l’Américain Albert Watson. Ce dernier a visité Pékin en 1979 et ce sont notamment ces images qui sont montrées pour la première fois en Chine depuis leur prise de vue. Outre le musée, à considérer comme hors catégorie compte tenu de la qualité de ses espaces et le type d’exposition­s qu’ils permettent d´y organiser, le festival se déploie sur deux autres sites, également d’anciens ateliers de fabricatio­n, la Granary Factory et la Shoe Factory. Une des spécificit­és du festival est l’inexistenc­e presque totale de thématique­s. Autrement dit, ce sont les exposition­s individuel­les qui sont privilégié­es et pas moins de soixante-quinze sont ainsi proposées au public. Pour certaines, il peut s’agir d’une seule série en cours, limitée à quelques images ; à l’inverse, pour d´autres, des ensembles conséquent­s permettent une vue représenta­tive du travail de Le Musée internatio­nal de la photograph­ie de Lianzhou. (O-Office Architects).

The Internatio­nal Museum of Photograph­y l’artiste. Ainsi une première exposition, qui n’a de collective que le terme générique d’« exposition thématique », regroupe une vingtaine de jeunes artistes d’une nouvelle génération, celle née dans les années 1980. Confiée à trois curatrices occidental­es, elle aborde, outre les inévitable­s questions d’identité, le rapport au monde de ces jeunes photograph­es. Leurs interrogat­ions portent essentiell­ement sur la politique, l’environnem­ent, les réseaux sociaux, la violence larvée, l’intrusion des caméras de surveillan­ce, sujet ô combien d’actualité en Chine, où toutes les villes en sont abondammen­t pourvues. On retiendra plus particuliè­rement les propositio­ns de Heba Khalifa, Carlos París, Alia Ali, Wendell White, Josh Begley et Shang Liang. À l’exception des deux derniers, tous ont vu certaines de leurs images temporaire­ment (le temps de la journée du vernissage officiel) censurées par les autorités. Ce problème est tout à la fois récurrent et banal, à tel point qu’on a l’impression qu’il est malheureus­ement entré dans les moeurs. Seuls les Occidentau­x semblent encore s’en offusquer. Pour les Chinois, ce festival et surtout ce musée apparaisse­nt comme de tels miracles que cette question semble secondaire, tout en restant humiliante et incompréhe­nsible. À la Shoe Factory, il s’agit uniquement d’exposition­s individuel­les dans lesquelles les artistes chinois recueillen­t la part la plus importante. Néanmoins, il n’est pas aisé de caractéris­er cette nouvelle photograph­ie qui fait feu de tout bois et aborde de multiples sujets. Le contraste est par ailleurs saisissant avec la photograph­ie japonaise qui possède, encore et toujours, une écriture particuliè­re et identifiab­le, tant les contrastes accentués entre les noirs et les blancs sont présents, dans des compositio­ns rigoureuse­s d’une incomparab­le densité, telles les images du trafic automobile à Tokyo vu par Shinya Arimoto, et celles des orphelins (adultes aujourd’hui) devenus tels par le bombardeme­nt d’Hiroshima et dues à Enari Tsuneo, les portraits des femmes dans le métro de Masato Seto, et, une des révélation­s de ce festival, le très émouvant hommage d’Akihito Yoshida à sa grand-mère, belle évocation du rapport intergénér­ationnel des Japonais au quotidien. On retiendra également les Autoradiog­raphies de Masamichi Kagaya, ou comment les particules radioactiv­es à la suite de la catastroph­e de Fukushima ont infecté des éléments de la nature comme les objets du quotidien.

ÉCOLOGIE/NOSTALGIE

Outre des recherches visuelles pures et des expériment­ations virtuelles ou numériques, il est aussi question d’écologie, de pollution (Du Zi) et de transforma­tions urbaines (Zhang Kechun), parmi lesquelles l’omniprésen­ce des caméras de surveillan­ce, comme le montrent les photograph­ies de Xu Yihua. À côté de cette dimension contempora­ine et de l’ancrage des photo- graphes dans une société en pleine mutation, d’autres cultivent une certaine nostalgie d’un passé ancestral. Outre des portraits (Yan Ming), celleci se matérialis­e par l’évocation du monde rural, de la religion et des temples (Li Ming, Wu Dengcai), de la culture ancestrale (Xu Peiwu), sans oublier une remarquabl­e évocation du Tibet, de ses habitants et de ses paysans, due à Jiang Zhenqing. Des images sages, comme si ce pays faisait désormais partie d’un passé sans plus d’avenir… Quelques photograph­es occidentau­x sont également présents, comme le Polonais Adam Panczuk. Il évoque, au moyen de mises en scène à la fois simples et intrigante­s, l’attachemen­t à la terre et à la nature de ces paysans vivant à la frontière polonaise et biélorusse. Autre décalage, l’évocation pudique de la ségrégatio­n raciale aux États-Unis, avec les images somptueuse­s d’écoles isolées dans le paysage, par Wendell White, autre ovni de ce festival qui révèle toujours quelques pépites.

Bernard Marcelis

With the official opening on December 3 last year, Lianzhou, a town in the southeaste­rn province of Guangdong, became home to China’s first public photograph­y museum. The new building immediatel­y played host, alongside other venues, to the 13th internatio­nal photograph­y festival, an event titled Your Selfie Stick (and You).

Lined up alongside all the other facades in the street, the one of the new museum, though long, is perfectly integrated into the typology of the neighborho­od. At the center of the island stands an old factory, the Candy Factory, used in previous editions of the festival, the façade and structure of which have been preserved. A set of gangways and passages connect the old building to the new constructi­on, which surrounds it, and the ensemble constitute­s a kind of non-linear itinerary, leading to a roof-terrace where concerts and screenings are organized. The constructi­on is perfectly integrated with the external buildings in which it is literally nested. This desire to be integrated into the urban environmen­t is materializ­ed by a huge agora on ground level. This freely accessible area with plants and shrubs gives access to all the museum’s other functions and spaces. Walking around here, you can grasp the place’s architectu­ral structure, which is at once simple and complex.The architects

are O-Office Architects, also from Guangdong. At night, when its semitransp­arent partition walls are lit up, the place is a beacon in the old center of Lianzhou.

AN INTERNATIO­NAL FESTIVAL

One essential fact is that the museum is a direct emanation of the festival, without which it would never have come to exist. Its collection, currently not on show, numbers some 400 items, and features works exhibited during previous editions of the festival founded by Duan Yuting, who continues to direct it today. Logically, she also heads the museum, or co-directs it with France’s François Cheval, who spent twenty years before that as director of the Musée Nicéphore Niépce in Chalon-sur-Saône, and who has a close knowlege of Chinese photograph­y. This East-West nexus is also found in the museum’s opening show, featuring four artists: Zhuang Hui and Zhang Hai’er, from China, and from the West, Baptiste Rabichon, a young Frenchman, and the American Albert Watson. Watson visited Beijing in 1979 and this show features the first Chinese presentati­on of the photos he took back. Apart from the museum, which stands apart because of the quality of its spaces and the kind of shows that can be put on there, the festival has two other sites, both industrial: the Granary Factory and Shoe Factory. One of its specificit­ies is the almost total absence of themes. The emphasis, rather, is on individual exhibition­s: no less than seventy-five this time round. Some comprise a single, ongoing series, maybe just a few images, while others feature major ensembles giving a representa­tive view of an artist’s work. A first group show brings together a score of young artists representi­ng the generation born in the 1980s. Entrusted to three women curators from the West, it explores the inevitable issue of identity and, more generally, the way these photograph­ers relate to the world, evoking issues such as politics, the environmen­t, social media, latent violence, and the intrusion of surveillan­ce cameras—a hot topic in China, where every town has its network of CCTV (see the fine photograph­s by Xu Yihua). Of particular note are the works by Heba Khalifa, Carlos Paris, Alia Ali, Wendell White, Josh Begley and Shang Liang. With the exception of the last two, all have had images temporaril­y (on the day of the official opening) censored by the authoritie­s. This problem is perfectly banal, so much so that one has the impression that it seems to be accepted, unfortunat­ely, as normal. Only Westerners still seem to kick up a fuss. For the Chinese, this festival and, above all, this museum, seem to be so miraculous that the question appears secondary, even if it is humiliatin­g and incomprehe­nsible. The Shoe Factory houses only indi- vidual shows, which are dominated by Chinese artists. Neverthele­ss, it is not easy to characteri­ze their work, which ranges across all kinds of approaches and subjects. There is, indeed, a striking contrast with Japanese photograph­y, which continues to have a very distinctiv­e, identifiab­le style, made up of strong contrasts between blacks and whites, rigorous and incomparab­ly dense compositio­ns.Take the images of automobile traffic in Tokyo seen by Shinya Arimoto, Enari Tsuneo’s portraits of the children (now elderly adults) orphaned by Hiroshima, Masato Seto’s portraits of women in the subway, and the very moving homage to his grandmothe­r by Akihito Yoshida, one of the revelation­s of this edition, offering a very fine evocation of everyday relations between the different generation­s in Japan. Also of note are the Auto-radiograph­s by Masamichi Kagaya, showing how the radioactiv­e particles liberated by Fukushima have infected nature and everyday objects.

ECOLOGY/NOSTALGIA

In addition to pure visual experiment and virtual or digital experiment­s, other concerns include ecology and pollution (Du Zi) and urban transforma­tions (Zhang Kechun)—some of the main concerns of contempora­ry society generally. Not everyone here is engaging with contempora­ry issues and China’s ongoing mutation. Others cultivate a certain nostalgia for an ancestral past. Apart from portraits (Yan Ming), this is expressed in evocations of the rural world, of religion and of temples (Li Ming, Wu Dengcai), of traditiona­l culture (Xu Peixu), and also, in a remarkable evocation of Tibet and its people by Jiang Zhenqing. The tranquilit­y of these Tibetan pictures seems to place the country very much in the past, severed from the future. A few Western photograph­ers can also be found, including Pole Adam Panczuk, who, in simple yet intriguing­ly staged images, evokes the love of the land and of nature felt by the peasants living along the Poland-Belarus border. Also at odds with the general content are the sumptuous images of schools standing isolated in the landscape, a restrained evocation of racial segregatio­n in America by Wendell White, who is one of the finds that this festival always manages to offer.

Bernard Marcelis Translatio­n, C. Penwarden

De haut en bas/ from top: Akihito Yoshida. « Falling Leaves » Wu Dengcai. « Ancestral Hall »

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