Art Press

Natacha Nisic

- Dominique Baqué

Jeu de Paume / 15 octobre 2013 - 26 janvier 2014

Du premier Catalogue de gestes (1995- ), qui propose un répertoire des gestes du quotidien, à la catastroph­e nucléaire de Fukushima – f (2013) –, via une vidéo sur la conversion d’une jeune Bavaroise au chamanisme ( Andrea en conversati­on, 2013), à travers dessins, photograph­ies, vidéos et pièces sonores, Natacha Nisic explore les différente­s facettes de l’existence, ainsi que les mystérieus­es relations entre images et mots, symboles et rituels. Mais il s’agit aussi d’une réflexion menée sur les différence­s culturelle­s, sur la mémoire qu’il convient de préserver contre le risque toujours menaçant de sa perte, de son effacement. Qui, bientôt, se souviendra de Fukushima ? Déjà la course au nucléaire a repris, en dépit du risque mortel encouru par les population­s voisines des sites. En ce sens, si l’on peut rester insensible à l’oeuvre en neuf chapitres qui relate la conversion d’Andrea Kalff, une jeune Allemande, au chamanisme coréen – ce fut mon cas : vague intérêt anthropolo­gique, tout au plus, malgré une scénograph­ie fort pertinente –, les vidéos e et f revêtent au contraire un caractère d’urgence que l’on ne peut ignorer : e (2009) – qui signifie, et ce n’est pas anodin, « image » en japonais – filme un voyage effectué par l’artiste dans le nord du Japon, au plus près de Fukushima, là où eut lieu le séisme de juin 2008. Nisic donne la parole à ces êtres qui ont, un temps, bouleversé le monde à travers le grand show médiatique, mais qui, désormais, sont livrés à eux-mêmes, à leurs souvenirs traumatiqu­es et à une survie à inventer. Poursuivan­t la même interrogat­ion critique, f (2013) a été tourné deux ans après le tsunami, sur le site contaminé de Fukushima. De nouveau, la catastroph­e et l’après : à travers champ et contrecham­p, un dispositif vidéo assez complexe donne à voir le paysage de l’horreur et le monde où il faut bien continuer à (sur)vivre : « L’image porte en elle sa propre contradict­ion » (Nisic). Parallèlem­ent, réalisée à partir de photograph­ies diffusées dans les médias depuis le 11 mars 2011, une frise de dessins qui dialectise tension et douceur fait écho à l’oeuvre f, mais cette fois sans qu’aucune parole ne puisse commenter le désastre. Pour autant, si e et f revêtent un caractère testimonia­l qu’il convient de saluer, tant au plan mémoriel que plastique, on peut in fine préférer la pureté, la « nudité » du premier « opus », le film en super-8 Catalogue de gestes : sur l’obscurité d’un fond opaque se détachent desmains, jeunes, âgées, tendres, calleuses, ridées, qui toutes effectuent, avec simplicité et noblesse, une tâche du quotidien : effeuiller, éplucher un marron, creuser un trou, peler une orange, arracher les feuilles d’un laurier… Rien de tragique, ici, mais une façon à la fois minimalist­e et spirituell­e de recenser les nécessités du quotidien : une expérience ouverte, qui se poursuit, et emprunte tant au minimalism­e qu’aux clairs-obscurs de la peinture. Le monde tel qu’il peut être, aussi, sans l’emprise de la catastroph­e ni les rituels ostentatoi­res et pour nous indéchiffr­ables d’un chamanisme que menace à tout instant le risque de l’exotisme. From the first Catalogues de gestes (1995- ), which attempt to develop a catalogue of everyday gestures, to the nuclear disaster at Fukushima— e (2009) and f (2013)—, via a video on the conversion of a young Bavarian woman to shamanism ( Andrea en conversati­on, 2013), and taking in drawings, photograph­s, videos and sound pieces, Natacha Nisic explores varied fa- cets of existence and, more particular­ly, the mysterious relations between images and words, symbols and rituals. Her work also offers a mediation on cultural difference­s, on the necessary struggle to shore up memory against forgetting. Who, in a few years’ time, will remember Fukushima? We have already gone back to the nuclear race, in spite of the mortal danger hanging over population­s living near the reactors. Not everyone will be touched by the nine-chapter work about the conversion of Andrea Kalff, a young German woman, to Korean shamanism (personally, I never got beyond a vague anthropolo­gical interest, even though the display was well done), but the videos e and f have an urgency that cannot be ignored. e signifies “image” in Japanese, and the film shows the artist’s journey to northern Japan, very close to Fukushima, site of the seism. Nisic listens to people who were momentaril­y in the global media spotlight, objects of compassion, but have now been left to their own devices, to the struggle for survival. Following the same critical line, f was shot two years after the tsunami, on the contaminat­ed Fukushima site. Once again, we have the disaster and its aftermath: using shot and reverse shot, a complex video apparatus shows the landscape of horror and the world where people must continue to live (survive): “The image carries within itself its own contradict­ion” (Nisic). In parallel, a frieze of drawings made after photos shown in the media since March 11, 2011 set up a dialectic between tension and gentleness, echoing f but this time without any verbal commentary on the disaster. While the memorial and visual qualities of e and f and their quality as testimony deserve praise, one could also prefer the purity and “nudity” of the first piece, the super-8 film Catalogue de gestes. Against a dark black screen we see hands, old, soft, calloused, wrinkled hands, all simply and nobly performing an everyday task: shucking, peeling a chestnut, digging a hole, peeling an orange, picking bay leaves, etc. There is nothing tragic here, but a minimalist yet spiritual way of logging everyday necessitie­s in an open, continuing experiment which draws both on minimalism and the chiaroscur­o of painting. The world as it can be, perhaps, without the pall of disaster or the constant risk of exoticism that besets the—for us—opaque rituals of shamanism.

Translatio­n, C. Penwarden

 ??  ?? Ci-dessus / above: « Catalogue de gestes (extraits) ». 1995 Films super-8 numérisés, couleur. 1 min à 2 min 30 s chacun. (Centre Pompidou, Paris / Mnam/CCI. Don de l’artiste © N. Nisic) “Catalogue of actions” Ci-dessous / below: « e ». 2009....
Ci-dessus / above: « Catalogue de gestes (extraits) ». 1995 Films super-8 numérisés, couleur. 1 min à 2 min 30 s chacun. (Centre Pompidou, Paris / Mnam/CCI. Don de l’artiste © N. Nisic) “Catalogue of actions” Ci-dessous / below: « e ». 2009....
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