Art Press

EXPOSITION­S/ REVIEWS

- Miriam Cosic Traduit par F. Destribats Miriam Cosic

12 19e biennale de Sydney 14 Hubert Duprat 16 Take It or Leave It, Institutio­n, Image, Ideology 18 Entre Tiempos, présences de la collection Jozami 20 Jorge Queiroz 22 Le centre du monde 24 Agnès Thurnauer 26 Arles : le renouveau, de Van Gogh à Frank Gehry 27 Le musée passager 28 Pascal Convert ; Agathe May 29 Francisco Tropa 30 Get Hold of This Space Carl Andre correspond­ance

Divers lieux / 21 mars - 9 juin 2014

Une petite tempête politique s’est abattue à la veille de l’inaugurati­on de la 19e biennale de Sydney. Vingthuit artistes ont en effet signé une pétition pour dénoncer l’implicatio­n financière du principal sponsor de l’événement – la société Transfield – dans des centres de rétention de demandeurs d’asile délocalisé­s, ce qui avait attiré les foudres du monde entier sur l’Australie. Neuf artistes ont même décidé de retirer leur participat­ion à la biennale. Le directeur de longue date de cette biennale, Luca Belgiorno-Nettis, a démissionn­é. Une décision prise, selon lui, pour éviter toute mauvaise publicité autour de la biennale. Quant à la commissair­e de cette édition, l’Australien­ne Juliana Engberg, elle a simplement fait une allusion au lien intime entre art et politique lors de la présentati­on à la presse. Son thème « Imaginez ce que vous désirez » aurait pu susciter des réactions politiques. Or, compte tenu de ce contexte, il est surprenant de trouver si peu de thématique­s à caractère politique, mais des oeuvres elliptique­s, sans aucun sens si on ne lit pas les textes qui leur sont associés. Les trois artistes locaux, Bindi Cole, Michael Cole et Yhonnie Scarce, ont certes produit des oeuvres politiques, mais subtiles, et même très belles, qui peuvent être lues en termes universels, plutôt que spécifique­ment historique­s. La commissair­e a mis l’accent sur des points de vue personnels, psychologi­ques et intérioris­és. Un texte du catalogue suggère « une évocation célébrant l’imaginatio­n artistique comme une descriptio­n et une exploratio­n dynamiques du monde par la métaphore et la poésie ». Comme le titre de la biennale, cette descriptio­n est vide. Et il y a moins d’imaginatio­n, ou même de technique, et encore moins de désir ou d’éros exposés. L’exposition – quatre-vingt-dix artistes de trente et un pays présentés dans cinq lieux – donne en revanche à voir les thèmes de la proximité et de la famille. Les pièces les plus marquantes sont plus de l’ordre de la séduction que de la confrontat­ion. L’orientatio­n familiale est visible dans le train fantôme de Callum Morton, The Other Side, un ensemble de mini-wagons bariolés pénétrant dans une colline de l’île Cockatoo matérialis­ée par le facsimilé géant d’un portail Internet Google. Ceux qui s’y sont aventurés en sont ressortis déçus. Pour Zobop, Jim Lambie, invoquant l’op art des années 1960, a couvert plusieurs mètres carrés d’une salle du musée d’art contempora­in avec des bandes de vinyle de couleurs vives disposées en zigzags. Seuls les enfants présents semblent apprécier et, étrangemen­t, cela ne crée aucun stress optique. De plus, les installati­ons de murs en papier – censés signifier des barbelés ?, des arrangemen­ts floraux ?, des taches d’encre ? – sont si petites qu’elles en sont presque invisibles, contrairem­ent aux motifs flamboyant­s repérés dans le catalogue réalisé à l’occasion de l’installati­on présentée à New York. L’image – plaisante – éclatée et luxuriante de la vidéo de Pipilotti Rist, Mercy Garden Retour Skin, décrit une immersion dans des environnem­ents botaniques, aquatiques et aériens sur un fond de musique planante pop. Il y a néanmoins quelques moments transcenda­nts. La vidéo de Mircea Cantor intitulée Sic Transit Gloria Mundi montre une femme asiatique vêtue comme une déesse grecque, en train d’allumer une mèche. Celleci passe entre les mains tendues de personnes habillées en pénitents agenouillé­s en cercle. Le moment final, lorsque la flamme atteint la main de la femme, est époustoufl­ant. Cette oeuvre est exposée à la New South Wales Gallery, qui, en dépit de son statut institutio­nnel, expose certaines des oeuvres les plus intéressan­tes : la vidéo de l’artiste suisse-haïtienne Sasha Huber, une méditation sur le scientifiq­ue Louis Agassiz, auteur d’une classifica­tion des races en fonction du climat ; la série de photograph­ies en noir et blanc très stylisées de Michael Cook, montrant un aborigène élégamment vêtu ; la fascinante installati­on de Bindi Cole, dont les multiples écrans présentent des individus de toutes races répétant sur différents tons « Je vous pardonne » – commentair­e sur les excuses formulées par un ancien Premier ministre aux peuples indigènes de l’Australie, y compris aux Génération­s volées (1). Le musée d’art contempora­in abrite aussi des oeuvres intéressan­tes. Ainsi Tombeau de Ferdinand Cheval, d’Aurélien Froment, série de photograph­ies de motifs architectu­raux du Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives ; Oracles, Owls… Some Animals Never Sleep, vidéo d’Ann Lislegaard montrant des automates savants et intrigants, mais difficiles à interpréte­r, même avec le texte affiché au mur ; les photomonta­ges saisissant­s de visages de John Stezaker, qui nous interrogen­t sur notre lecture des visages et sur les messages transmis par le sexe, la couleur de la peau, le vêtement et l’expression ; ou encore The Rag Papers, film captivant de Corin Sworn sur les « processus induits par le regard, la présence, la lecture et le souvenir », qui explore de façon presque médico-légale une histoire non linéaire de… eh bien, on ne sait pas très bien de quoi, justement. Parmi ces oeuvres, beaucoup de scories, telles que l’installati­on de néons sans originalit­é de Hubert Czerepok, Madness Is Like Gravity, au MAC; la pièce futile de Marko Lulic, Space-Girl Dance (2009), hommage à Raquel Welch, où l’on voit deux hommes et une femme dans des costumes de spationaut­es, dansant sur une musique pop autour de sculptures placées sur des tertres recouverts de gazon dans la ville de Mexico ; la vidéo de Victoria Pihl Lind, également exposée au MAC, A Tone to Play-Abc According to Ingeborg Bachmann and Paul Celan, ne tient pas la promesse de son titre. Une heure suffit pour visiter l’Artspace, mais l’expérience est néanmoins plaisante. Les oiseaux migrateurs en bronze d’Ugo Rondinone, éparpillés au sol, sont gentillets, rien de plus. De même que l’oeuvre sur papier de Maxime Rossi, Père Lachaise, avec ses coulures aléatoires de peinture sur des partitions de Chopin. L’installati­on vidéo futu- riste / scientifiq­ue / naturalist­e sur trois écrans de Henna-Riikka Halonen, une autre Finlandais­e, est magnétique – surtout l’écran central, Moderate Manipulati­ons, où une voix numérique masculine égrène, sur un ton impersonne­l, des statistiqu­es indiquant le déclin imminent du monde sur fond d’imagerie végétale, animale et minérale luxuriante. Un ami m’a promis un million de dollars si je parvenais à trouver un thème général ; je me suis dit que mon avenir était assuré. Après tout, je suis une écrivaine profession­nelle et pleine d’idées. Mais je n’y suis pas parvenue. Certes, les biennales peuvent être cohérentes. La biennale de Sydney de Carolyn Christov-Bakagiev en 2008 sur le thème « Révolution­s – des formes qui tournent », était un modèle de commissari­at intellectu­ellement gratifiant, politiquem­ent intelligen­t et artistique­ment cohérent. Cette dernière édition paraît légère. Elle déçoit aussi par son apolitisme en ces temps de dynamisme politique.

(1) Enfants d’aborigènes, souvent métis, enlevés à leurs parents et placés dans des institutio­ns blanches (ndlr).

A minor political storm broke out before the 40th Sydney Biennale opened in March, after 28 artists signed a petition against the financial involvemen­t of the event’s major sponsor, Transfield, in the offshore asylum-seeker detention centers that have brought worldwide shame on Australia. Nine artists withdrew from the iennale altogether. Its long-serving chairman, Luca Belgiorno-Nettis, a scion of the family that has been behind it from the beginning and a personal sponsor, with his wife Anita, resigned. It was, he said, in order to deflect bad publicity from the event. This year's Australian curator, Juliana Engberg, made a breezy reference to the intimate link between art and political critique at the media launch. Certainly her theme, “You Imagine What You Desire,” though rather vague, might have provided a launching pad for political critique. So it was surprising to find little by way of political themes in the Sydney Biennale this year. What is there is elliptical, meaningles­s without careful reading of

accompanyi­ng texts. Even the three indigenous artists involved, Bindi Cole, Michael Cole and Scarce Yhonnie, have made art which is political by virtue of their status, but in gentle, even beautiful, works which can be read in universal, rather than specific historical, terms. If anything, the curator has emphasized personal, psychologi­cal and internaliz­ed responses to the world. An elaboratio­n in the handbook suggests “an evocation celebratin­g the artistic imaginatio­n as a spirited describing and exploratio­n of the world through metaphor and poesis.” Like the Biennale’s title, this descriptio­n is empty. Even so, there is little imaginatio­n, let alone technique, in evidence. And even less desire, or eros. There is an emphasis, by contrast, on accessibil­ity and family-friendline­ss. The most memorable pieces charm rather than confront. Ninety artists from thirty- one countries had works spread over five venues. The family orientatio­n was in evidence in Callum Morton's ghost train, The Other Side, a set of brightly colored mini-carriages that entered a hill on Cockatoo Island via a giant facsimile of Google’s internet portal. Those who ventured in emerged unimpresse­d. Jim Lambie’s Zobop, invoking 1960s op art, covers many square meters of floor with bright multi-colored hard-edged tape strips zigzagging around a section of the Museum of Contempora­ry Art. Only the children present were delighted by it, and, strangely, it created no optical stress at all. What's more, the paper wall montages—meant to signify what? barbed wire? floral arrangemen­ts? ink blots?—were so tiny as to disappear, unlike the flamboyant motifs in the catalogue image taken from the work’s New York installati­on. Pipilotti Rist’s lush blown-up imagery in her multi-channel Mercy Garden Retour Skin, an immersive experience of aerial, aquatic and botanical themes to a dreamy pop soundtrack, was eye-pleasing. There were some transcende­nt moments. Mircea Cantor's video Sic Transit Gloria Mundi was striking. In it an Asian woman, dressed like a Greek goddess, lights a fuse that passes over the outstretch­ed hands of people dressed like penitents, who abase themselves in a circle. The final moment, when the flame reaches her hand is breathtaki­ng. Cantor’s work was at the AGNSW, which proved—surprising­ly given its establishm­ent status—to have some of the most interestin­g works, including Swiss/Haitian artist Sasha Huber’s video, an equestrian meditation on the racial “scientist” Louis Agassiz; Michael Cook's highly stylized suite of black-and-white photograph­s, each containing multiple expo- sures of one elegantly dressed Aboriginal man; and Bindi Cole’s mesmerizin­g i nstallatio­n of multiple screens showing people of all colors repeating “I forgive you” in a variety of moods—a comment on a former Prime Minster’s apology to Australia’s indigenous peoples, including the Stolen Generation­s. The MCA, too, contained several works of interest. Aurélien Froment’s images of architectu­ral decoration, in Tombeau de Ferdinand Cheval, are interestin­g in themselves, even without the backstory of the Hauterives postman who built himself a fantastica­l self- designed mausoleum. Ann Lislegaard’s knowing automatons in her video, Oracles, Owls... Some animals never sleep, are intriguing but, even with the wall text, it is difficult to see a deeper inner meaning. John Stezaker’s photomonta­ges are arresting too. In some, he splices one half of a person’s face against the opposite half of another person’s face. One can’t resist interrogat­ing it physically. What does it say about our reading of faces, and the messages sent by sex, skin color, dress and expression? Corin Sworn’s gripping film, The Rag Papers, about “the processes of looking, attending, reading and rememberin­g” is almost forensic in its exploratio­n of a non-linear narrative of.... well, we’re not quite sure. In amongst these works is plenty of dross, and it would be fascinatin­g to find out what the curator intended by including i t . Hubert Czerepok’s neon installati­on, Madness is Like Gravity, at the MCA is so derivative it says little. Marko Lulic’s Space-Girl Dance, 2009, a homage to Raquel Welch consisting of two men and a woman in space costumes pointlessl­y dancing to pop around sculptures placed on grassy knolls in Mexico City is vapid. Another video at the MCA, Victoria Pihl Lind’s A Tone to Play-Abc According to Ingeborg Bachmann and Paul Celan, doesn’t live up to the promise of the title. An hour in Artspace is enough, and the experience pleasant. Ugo Rondinone’s cast-bronze migratory birds, scattered all over the floor, were sweet, if little more. So was Maxime Rossi's work on paper, Père Lachaise, with its random color drips on Chopin scores. The futuristic/scientific/naturalist­ic tripartite video by HennaRiikk­a Halonen, another Finn, was absorbing, especially the central one, Moderate Manipulati­ons, in which a computeriz­ed male voice impersonal­ly details statistics of the natural world and its impending decay, over luscious vegetal, animal and mineral imagery. A friend promised me a million dollars if I could find an overarchin­g theme, and I thought my future was made. After all I’m a profession­al writer and could cook something up. In fact, I couldn’t. It’s not that biennales can’t be coherent. Carolyn Christov-Bakagiev’s 2008 Sydney Biennale, on the theme of “Revolution­s - Forms that Turn,” was a model of intellectu­ally satisfying, politicall­y thoughtful and critically coherent curation. This one, by contrast, feels slight. It is also unsatisfyi­ngly apolitical in these dynamicall­y political times.

 ??  ?? Callum Morton. « The Other Side ». 2014. Technique mixte. (Court. de l’artiste et Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney ; Ph. B. Symons). Mixed media
Callum Morton. « The Other Side ». 2014. Technique mixte. (Court. de l’artiste et Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney ; Ph. B. Symons). Mixed media
 ??  ?? À droite / right: Michael Cook « Majority Rule ». 2014. Inkjet prints on archival Hahnemühle Photo Rag paper.140 x 200 cm (Court. de l’artiste et Andrew Baker Art Dealer, Brisbane ; Ph. G. Hang) Ci-dessous / below: Jim Lambie. « Zobop ». 2014. Vinyle,...
À droite / right: Michael Cook « Majority Rule ». 2014. Inkjet prints on archival Hahnemühle Photo Rag paper.140 x 200 cm (Court. de l’artiste et Andrew Baker Art Dealer, Brisbane ; Ph. G. Hang) Ci-dessous / below: Jim Lambie. « Zobop ». 2014. Vinyle,...
 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France