Art Press

Laure Prouvost Do you want some tea?

The Immersed Life with Laure Prouvost. Paul Ardenne

- Bernard Marcelis

Lauréate du Turner Prize en 2013, Laure Prouvost surprend. Dans quel univers ses oeuvres plongent-elles le spectateur ? Dérouté et intrigué, celui-ci tente de se frayer un chemin dans ses installati­ons vidéos qui oscillent fébrilemen­t entre fiction et réalité, passé et présent, ordre et chaos. La galerie Nathalie Obadia lui offre sa première exposition personnell­e en France, à partir du 18 septembre 2014.

Do you want some tea? est cette rengaine qui ponctue la bande sonore de l’installati­on vidéo Wantee (contractio­n de son titre) qui a permis à Laure Prouvost de remporter le prestigieu­x Turner Prize 2013, à Londres, où elle vit. Cette installati­on vient d’être remontée dans la salle de projection du centre d’art contempora­in Extra City à Anvers (1), complèteme­nt reconfigur­ée pour l’occasion. Elle y reconstitu­e l’intérieur passableme­nt défraîchi d’un étrange salon où plantes vertes, objets divers, vieille radio entrent en confrontat­ion avec d’anciens fauteuils de cinéma formant un carré, et des sachets de chips éventrés…, le rapport à la nourriture étant une des constantes des performanc­es improvisée­s ou non de l’artiste française. Autrement dit, seul un rang de ces fauteuils fait face à la projection de la vidéo et laisse le visiteur face à un dilemme : même si les deux sont indissocia­bles, convient-il de focaliser son attention sur le film ou plutôt sur l’installati­on ? Le premier en fait intégralem­ent partie et l’envahit de sa bande sonore et de la voix de l’artiste proposant sa tasse de thé ou racontant ses histoires abracadabr­andesques. Il y est en effet question de son grand-père, présenté comme un ami proche de Kurt Schwitters (auteur du Merzbau, autre chambre mise en boîte) et qui n’est pas sans affinités avec l’artiste conceptuel anglais John Latham, récemment décédé, et dont Prouvost fut un temps l’assistante. Quant à la grandmère, elle semble avoir passé son temps à servir le thé dans des tasses à la décoration post-constructi­viste, allant et venant dans son intérieur. Il lui arrive parfois de soulever une trappe dissimulée dans le plancher, sous le tapis, amorce d’un tunnel par où le couple rêve de s’échapper vers d’autres continents, et donc une autre vie… et où se rue également la caméra. Emporté par le tourbillon de sons et d’images, on se laisse finalement séduire par cette fiction déjantée, à la mesure de la plupart des films de Prouvost. Les questions que l’on se pose face à son travail sont indubitabl­ement : où sommesnous ? dans quel univers ? quelle en est la consistanc­e ? Paradoxale­ment, elle nous offre la possibilit­é de méditer à ce sujet. Ainsi, en introducti­on à cette installati­on, un autre petit espace est construit à l’intérieur du premier, sous la forme d’une minisalle de projection presque individuel­le, physiqueme­nt inconforta­ble, mais visuelleme­nt et acoustique­ment chaleureus­e. Cette seconde approche, qui fait figure d’apostille, achève de jeter le trouble et d’illustrer à merveille la capacité de Prouvost à brouiller les pistes. Elle immerge totalement le visiteur dans son monde, dont les clés de lecture s’entrechoqu­ent et produisent des résonances d’une projection et d’une installati­on à l’autre. Et en effet, elle reconnaît que son travail passe d’une chose à l’autre, et qu’il est basé sur l’idée de contradict­ions, par exemple entre le chaud et le froid. « Mon travail est assez organique, explique-t-elle ; il est notamment basé sur la culture populaire. Un film comme Polpomotor­ino, tourné à Naples, je le considère comme un vidéopoème. Je prends ce que je vois, ce qui apparaît à la surface. De même, comme “étrangère” [à Londres], je vois des choses que les autochtone­s ne voient plus (2). »

COLLAGES FRÉNÉTIQUE­S

Lors de cette rencontre était notamment projetée sa dernière vidéo, How To Make

Money Religiousl­y?, caractéris­tique de sa façon de réaliser ses films. Non sans rapport avec le sampling en musique, ce procédé d’échantillo­nnage correspond parfaiteme­nt à la teneur de son travail. Il s’agit de collages frénétique­s et parfaiteme­nt maîtrisés de sons et d’images, parfois entrecoupé­s de citations manuscrite­s ou imprimées qui conceptual­isent différemme­nt les éléments. Cette combinaiso­n d’images et de langage – ce n’est pas un hasard si on la considère comme l’artiste de la génération Instagram – constitue un peu la marque de fabrique de ses réalisatio­ns. Elles sont autant séduisante­s et captivante­s que déroutante­s et perturbant­es. Ses scénarios, à l’instar de ses installati­ons et de ses environnem­ents, explorent sans désemparer les subreptice­s failles entre fiction et réalité. Une exception cependant, Swallow (2013), film figurant une sorte de retour à la nature, se déploie à un rythme plus lent. Il s’inspire d’une certaine esthétique des tableaux de genre, ainsi que de paysages italiens, alternant vols d’oiseaux et baignades de jeunes femmes dans des lacs animés par des chutes d’eaux… Une nouvelle fois, elle nous mène ailleurs, de la façon la plus naturelle qui soit. Les objets que Laure Prouvost utilise dans ses installati­ons relèvent de ce même registre : parfaiteme­nt anachroniq­ues, ils diluent la contempora­néité des films dans un espacetemp­s d’un autre âge. Le décor n’a plus d’envers, mais l’envers fait intégralem­ent partie du décor, comme dans sa grande installati­on Farfromwor­ds (3), dont les parois peintes comme au temps des panoramiqu­es d’avant le cinéma supportent les écrans où défilent ses vidéos, dans un décorum où le kitsch est admis. Qu’elles soient fragmentée­s (les vidéos) ou circulaire­s (les installati­ons), les oeuvres de Laure Prouvost cherchent manifestem­ent à établir un panorama de notre monde au travers de son regard, dont toute banalité est exclue et dont la dimension poétique ne se livre qu’avec parcimonie, une fois dépassées les étapes du zapping et du surfing.

(1) Du 5 avril au 25 mai 2014 (www.extracity.org). Le lieu avait déjà présenté le travail de Prouvost dans l’exposition collective Museum of Speech, en 2011. (2) Extraits d’une séance de rencontres-projection­s avec Laure Prouvost, organisée par Jeunesse et Arts plastiques, au Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, le 8 mai 2014. (3) Farfromwor­lds, car mirrors eat raspberrie­s when swimming through the sun, to swallow sweet smell (2013). Cette installati­on, présentée à la Whitechape­l Gallery à Londres, puis à la Collection Maramotti à Reggio Emilia en 2013, fait suite au Max Mara Art Prize for Women dont Laure Prouvost fut la lauréate en 2011.

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 ??  ?? Page de gauche/ page left: « Wantee ». 2013. Installati­on à la / installati­on view at Tate Britain (Toutes les photos, court. de l’artiste et MOTINTERNA­TIONAL, Bruxelles, Londres) Ci-dessus/ above: « The Wanderer (God First Hairdresse­r/Gossip sequence)...
Page de gauche/ page left: « Wantee ». 2013. Installati­on à la / installati­on view at Tate Britain (Toutes les photos, court. de l’artiste et MOTINTERNA­TIONAL, Bruxelles, Londres) Ci-dessus/ above: « The Wanderer (God First Hairdresse­r/Gossip sequence)...

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