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Magiciens de la Terre / Manifesta 10 L’exposition, un outil pour ouvrir le monde

/ Picturing the Exhibition Entretien de Kasper König et Jean-Hubert Martin avec Paul Ardenne

- entretien Kasper König et Jean-Hubert Martin avec Paul Ardenne

Magiciens de la Terre : retour sur une exposition légendaire (Centre Pompidou, 2 juillet - 8 septembre) rassemble archives et documents de cette « “exposition-seuil” [qui] a révolution­né la scène artistique (1) ». Elle est complétée par une université d’été consacrée à cette même exposition (Centre Pompidou, 1er - 10 juillet). Manifesta 10, biennale européenne itinérante, se tient cette année à Saint- Pétersbour­g, au musée de l’Ermitage (28 juin - 31 octobre). Jean-Hubert Martin fut commissair­e de la première, Kasper König est directeur de la seconde. Ils échangent leurs points de vue sur l’avenir de la forme exposition.

tes sculptures. Comme si, finalement, l’origine de ces images provenait plus directemen­t de la sculpture et de l’objet que de la peinture. En effet, l’Invention du monde est une de mes premières sculptures. Elle tente de dire un écho du cosmos, cette quête d’équilibre mystérieus­e qui qualifie son expansion. En même temps, cette oeuvre porte en elle un peu de l’ADN du Pantheo-Vortex. Elle est un peu comme un principe intentionn­el premier. Une petite planète en suspension, enfermée ou protégée (comme on voudra) par un limbe de verre qui supporte de grandes membrures d’orientatio­n. Cette petite oeuvre est un cosmos à elle seule, elle tente à sa manière de capter le mystère du monde, le souffle des premiers temps, et indique peut-être que bientôt viendra le plus grand événement cosmique : l’apparition du vivant au sein de ses forces surpuissan­tes. Ces premières sculptures nourrissen­t le Pantheo-Vortex. Ta remarque me sert de miroir et me fait réaliser à quel point une oeuvre obéit à une logique de maturation. Mais l’origine de ce projet, tu la situes dans une poire, qui est bien une sculpture. C’est une oeuvre en 3D, une oeuvre chaude, réconcilia­nte et apaisée. On peut vraiment regarder le monde comme cela. Ce monde de dureté, de complexité, de resserreme­nt, de rétrécisse­ment, on peut le combattre non seulement avec le coeur, mais aussi avec l’esprit. Enlacer l’autre, regarder l’autre comme si c’était soi-même, regarder un fruit comme un Brancusi, célébrer le génie prodigieux de la nature. Les grands artistes le savent, le génie d’invention de formes de la nature est indépassab­le. Le plus grand des artistes est un nain face à la puissance panthéiste. Je suis assez fasciné par ces fameuses pieuvres mimétiques auxquelles Roger Caillois s’est intéressé, qui ont la capacité de se transforme­r en permanence et de prendre l’apparence de leur environnem­ent immédiat, d’une manière absolument époustoufl­ante qui modifie même la texture de leur corps. C’est une parade incroyable contre les prédateurs et c’est en même temps d’une immense créativité – qui est celle de la nature, bien sûr, il n’y a pas de conscience. L’art, depuis la nuit des temps, est un outil d’élargissem­ent du champ de conscience, de compréhens­ion de la nature, de ses phénomènes. C’est ce que tente le Pantheo

Vortex : définir une verticale, un axe de spirituali­té. Il s’agit en effet, à travers cette création, de rendre grâce. Voilà un concept, une idée, un sentiment qui n’est plus d’actualité. C’est presque anachroniq­ue de dire des choses comme cela, rendre grâce. Nous disions que l’écologie politique a échoué, notamment parce qu’elle implique des changement­s de style de vie considérab­les, et nous devons repenser complèteme­nt notre mode de vie au quotidien si nous voulons obtenir des effets durables. Et de toute évidence, si ce qu’on nous annonce est vrai, nous allons à la catastroph­e, même avec un maximum d’efforts. Il faudrait nous projeter vraiment dans cet avenir possible où nous aurions tous besoin de masques à gaz, comme dans les pires films de science-fiction, où notre quotidien serait vraiment désenchant­é, avec l’impossibil­ité de se délecter de la beauté et des saveurs d’une poire, tout simplement parce qu’il n’y en aurait plus. C’est le prix de la sauvagerie, le syndrome de l’île de Pâques : l’île de Pâques était un paradis sur terre, au coeur du Pacifique, loin de tout. Découverte par les hommes au 17e siècle. Trois siècles plus tard, ils laissent un caillou. C’est le syndrome de l’île de Pâques. Ce serait affreux que l’on fasse la même chose avec notre terre.

DES OEUVRES PRÉSENTES AU MONDE

Parfois, dans un accès de pessimisme, je me dis que, dans l’histoire de la planète, la seule erreur, c’est l’espèce humaine. En effet, on le voit sur les images de satellites des zones éclairées la nuit, qui donnent l’impression que l’humanité est un eczéma de la planète, une sorte de maladie, une espèce prépondéra­nte sur toutes les autres qu’elle a mis en esclavage en oubliant qu’un arbre ou un poisson sont des êtres comme nous et que les aimer, les respecter, nous rend simplement heureux. Ce qui a disparu aussi, pas seulement dans cette série mais qui nous ramène encore à une origine du côté de la sculpture (où il n’y en a pas), c’est le texte. Or le texte a été important pour toi. Oui, la formulatio­n, c’est ce qui fait émerger les concepts, la réalité articulée du langage. Se saisir du monde, c’est le formuler. Ce qui n’est pas tout à fait vrai pour un artiste, pour un plasticien : se saisir du monde ne revient alors peut-être pas à le formuler, mais à se le dire à soi-même avec des flux intérieurs. Je le vois plutôt ainsi. Ce sont des flux, que l’on articule avec plus ou moins d’invention, et qui ne passe pas par le langage. Ce qui crée souvent le délice du peintre, c’est ce qu’on appelle la fulgurance. C’est un langage électrique. C’est le plus court chemin entre ce que l’on ressent, ce que

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