Stéphane Dumas
Les Peaux créatrices. Esthétique de la sécrétion
Klincksieck Ayant perdu son défi contre Apollon et sa lyre, le dionysiaque joueur d’aulos Marsyas est écorché vif. Sa peau, retournée, pendue à un arbre, gonflée comme une baudruche par le vent, laisse échapper des sons. Métamorphose conforme à l’esthétique de Hegel, qui voyait dans l’art une spiritualisation de la nature. Ce n’est qu’un début, la dépouille du satyre se mue en mouvement baroque chez Ribera : tourbillon d’étoffe qui unit en miroir inversé, comme une pelure d’écorce, vainqueur et vaincu. Mais la plus étrange figure du joueur de flûte, reste celle du Titien. À l’heure de son ultima maniera, le Vénitien n’aurait pas hésité à modeler les pigments avec les doigts, autant dire la cruauté du couteau. Dans son Supplice de Marsyas, matière et esprit jouent selon des rapports à jamais instables : l’épaule et l’avant-bras du personnage au bonnet, « si écrits vus de loin, semblent disloqués et faits de touches en suspension, lorsqu’on s’approche », et devant la toile, certains détails anatomiques « disparaissent au profit des flux de la matière picturale jetée ». Armé d’une documentation aussi exhaustive que précise, qui mêle la science et l’art, Stéphane Dumas poursuit son enquête sur les traces de ces dépouilles du corps. Et du saint Barthélémy de Michel-Ange à Marc Quinn, de Thierry Kuntzel à ORLAN, flotte la plainte qu’Ovide met dans la bouche de Marsyas s’adressant à son bourreau : « Pourquoi m’arraches-tu à moi-même? » Aux âmes sensibles, que nombre d’illustrations de ce volume pourraient choquer, il convient de répondre avec Hegel encore : « C’est seulement chez l’homme civilisé que les changements de forme, de comportement et de tous les autres aspects extérieurs procèdent d’une culture spirituelle. »