Elsa Boyer
Mister
P.O.L Pour sa troisième fiction, Elsa Boyer poursuit son exploration des images en adoptant le point de vue d’un entraîneur, « Mister », à partir duquel elle infiltre l’imaginaire du football et de ses représentations. Ce n’est pas tant le sport qui fait sujet ici que les images qu’il fabrique et les formes qu’il engendre. Si les descriptions puisent directement dans la grammaire télévisuelle sportive, elles défont la dramaturgie du football filmé pour lui substituer un temps déréglementé par la conscience de Mister. Il est la régie mentale du récit, l’opérateur et le récepteur d’un défilé d’images polymorphes qui semble s’élaborer depuis ces objectifs qui transforment les actions, les pensées et les organismes en toiles abstraites ou en particules. Le récit déroule au fil des entraînements et des matchs une série de séquences qui n’obéit à aucune continuité dramatique mais restitue le vertige d’une infinité de stimulations psychosensorielles. Toute la force de cette fiction sportive neuronale réside dans la désorientation que parvient à produire l’écriture d’Elsa Boyer en insérant dans le vocabulaire du sport celui d’un imaginaire archéologique et archaïque. Elle ne cesse d’osciller entre une certaine aridité descriptive et le lyrisme du commentaire sportif intérieur de Mister, contaminé par les « terreurs anciennes » et les « esprits animaux ». Le paysage mental d’un temps immémorial déborde la langue et les images du sport, il menace l’ordre du « staff » et les stratégies qu’il ourdit pour encadrer les corps et leurs images. Derrière ses lunettes fumées, Mister augmente la réalité et agrandit les images : il métamorphose les terrains en jungles et les matchs en polyphonies où les corps déformés par l’argent peuvent encore renouer avec la beauté du geste sportif.