Marc Cholodenko
Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu
P.O.L La première phrase caractérise d’emblée une matière précieuse, compacte, évoque les premières lueurs d’un début, et donne son titre au livre. Marc Cholodenko dispose des phrases indépendantes les unes à côté des autres comme des « pierres sèches » pour construire une sorte de mur se positionnant « nulle part », simplement là, qui implique la présence de matériaux accolés, placés dans un voisinage serré tout en laissant la possibilité d’aller d’un élément à un autre sans les confondre. Sa méthode, ou plutôt sa pérégrination (l’impression d’étapes, de passages et de bonds est récurrente) consiste à considérer toutes ces phrases comme des obstacles à sédimenter, à préserver, et à les soumettre à une même poussée afin d’en faire jaillir une lumière composite, agitée par diverses sollicitations. Sa pensée procède par juxtaposition plus que par déduction, par rapprochements successifs plus que par développement d’une idée déterminée, englobante. S’il refuse les limites, c’est pour se situer au carrefour de potentialités inconnues, au point d’équilibre de tout ce qui a affaire avec le vertige. Cholodenko ouvre de multiples tiroirs et puise dans les registres de la réflexion et de la notation, de l’opacité et de la transparence, de l’abstrait et du concret. L’expérience de cet assemblage se suffit à elle-même et ne s’accompagne d’aucun esprit d’affirmation ou de conquête, d’aucune intention de modifier le cours des choses ou d’y jouer de près ou de loin un rôle quelconque. Seule compte cette course tumultueuse, adepte du tête-à-queue radical, engagée pour jouer avec « ce masque du langage » qui masquerait « bien le monde si ce masque masquait autre chose qu’une place qui peut aussi bien être appelée un masque ».