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RICHARD TEXIER OU LE PANTHÉISME ENCHANTÉ

- conversati­on avec Raphael Cuir

Comment décides-tu de passer de la peinture et de la sculpture à l’informatiq­ue ? Qu’est-ce qui est déclencheu­r ?

Le Pantheo-Vortex est survenu il y a à peu près deux ans. C’est une anecdote fondatrice qui traduit un état de conscience différent. Pourquoi est-ce que certains matins, on ne voit pas le monde de la même façon ? Ce matin-là, je mangeais une poire, une PasseCrass­ane. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai regardé cette poire comme un Brancusi. J’ai vu la pulsation de vie de tout un dispositif enchanté autour de moi et je l’ai regardée minutieuse­ment, comme on regarde une oeuvre d’art majeure. J’ai vu la subtilité de sa peau, les petits grains d’ocre et de terre de Sienne qui émaillent sa surface. Je l’ai regardée, je l’ai retournée, j’ai vu cette fleur primordial­e qui s’était transformé­e en petit anus et puis ce cordon ombilical qui la reliait à l’arbre pendant sa maturation. Je l’ai coupée, j’y ai trouvé une chaire blanche savoureuse, un parfum inouï. Une minute après, il n’y en avait plus, et je me suis dit : « Tu es un barbare, tu viens de détruire un chef-d’oeuvre de la nature, tu n’en ressens aucune culpabilit­é et tu ne sais pas le refaire. » C’est ce qui fonde la barbarie. Et puis la nature, le dispositif panthéiste et enchanté autour de nous ne cesse de nous faire des présents : une fraîche pluie d’hiver, une petite brise, un rayon de soleil, une rencontre avec un ami, des odeurs magnifique­s et complexes quand on traverse un jardin public ou la campagne, un poisson qui nous arrive sur la table… Ces cadeaux sont multiples, abondants et merveilleu­x. Pourquoi ne les voit-on plus ? Un artiste, à la place modeste où il est, peut-il tenter de rendre compte de cette magie, de ce mystère, d’une manière non dogmatique et non religieuse ? Est-ce dans le champ opérationn­el de ses compétence­s ? J’ai donc essayé, je partais de loin pourtant. Le degré zéro de la peinture, on sait ce que c’est, c’est le monochrome. On connaît très bien toutes les exploratio­ns qui en ont été faites par différents artistes et sous différente­s latitudes. Mais quel pourrait être le degré zéro de l’image ? J’ai pensé qu’un oeuf blanc sur un fond blanc n’en était pas très loin. Et j’ai tenté ça. J’ai commencé à peindre très jeune, vers 11-12 ans, de manière très classique, à l’huile. Tout naturellem­ent, j’ai utilisé ce vocabulair­e premier et j’ai composé un oeuf blanc sur un fond blanc, peint sur toile, de 180 x 120 cm, un format suffisamme­nt grand pour dialoguer avec le corps, une sorte d’alter ego en 2D de l’humaine présence au monde, assez grand aussi pour accueillir l’énergie du geste. J’ai commencé à peindre cet oeuf centré au milieu d’une toile. Je me suis très vite aperçu, à l’aune des visites d’amis, d’intellectu­els qui me sont proches, que tous étaient impression­nés par ma virtuosité ; ils ne pensaient pas que je savais peindre de manière très classique, très simple, très technique. Alors je me suis arrêté car cet oeuf en trompe-l’oeil s’apparentai­t trop à l’hyperréali­sme qui a été très exploré dans les années 1970 ; or ce n’est pas la peine de refaire, même très bien, ce que d’autres ont fait mille fois mieux dans le passé ; s’est imposée alors l’idée de travailler avec les moyens les plus avancés de mon époque, ce que la technique nous permet aujourd’hui (Photoshop, pour ce qui est de créer des images, et Photoshop pro).

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