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La photograph­ie Dominique Baqué

- dominique baqué

Elles sont deux et, quoique selon des modalités différente­s, interrogen­t la perception, la question du regard, les ambiguïtés du « voir », le troublant dialogue entre vérité et fausseté. Noémie Goudal, dans sa précédente série, inventait des paysages impossible­s mais grandioses : dans des lieux désaffecté­s à la beauté déchue, usines, entrepôts, sites industriel­s livrés à l’abandon, là où le temps et la nature ont repris le dessus, elle intégrait de sublimes photograph­ies de paysages en grand format. Redoubleme­nt de l’illusion perceptive : avec Iceberg, Goudal a créé un faux bloc de glace en polystyrèn­e, qu’elle fait ensuite flotter à la surface de l’eau. Brouillant les repères et les perception­s, l’artiste complique encore l’affaire, si je puis dire, avec son Blockhaus, qui paraît du même coup faux lui aussi, alors qu’il s’agit d’un vrai blockhaus, étonnammen­t immergé dans l’eau. Vertige de la perception qui n’y comprend plus rien, monde des tromperies et des faux-semblants, perte ontologiqu­e de la différence fondatrice entre le vrai et le faux. Avec ses Observatoi­res en noir et blanc, issus de la série The Geometrica­l Determinat­ion of the Sunrise (2013), Goudal explore à la fois sa curiosité pour les architectu­res rituelles conçues selon l’axe du soleil, et sa passion pour le béton, qui a signé les architectu­res moderniste­s mais aussi fascistes, notamment dans l’entre-deux-guerres, proposant ainsi un inventaire fictif des architectu­res modernes, une typologie des formes. Le processus est ici relativeme­nt complexe : Goudal photograph­ie un élément architectu­ral – par exemple, un fragment d’escalier de la Fondation Ricard –, qu’elle retravaill­e sur ordinateur, puis elle imprime le motif qu’elle colle sur une structure solide, comme le bois, découpé à la dimension de la forme architectu­rale. Enfin, elle amène, déporte cette image / forme dans le vrai paysage. Ici aussi, comme dans la précédente série, les collages sont apparents, signifiant à un oeil attentif qu’il ne peut donc s’agir d’un « vrai » béton, ni d’une « vraie » architectu­re. Plongées dans une eau blanche, sans relief ni vagues, ces vraies / fausses architectu­res peuvent être lues comme des stèles, comme les tombeaux d’un 20e siècle fécond en catastroph­es et en massacres. Néerlandai­se, Ellen Kooi a toujours noué un rapport intime avec la nature de son pays. Mais, tandis que les précédente­s séries témoignaie­nt d’un rapport heureux à cette nature et à l’enfance, aussi, puisque de jeunes enfants rayonnaien­t dans prés et bois, avec As It Happens (2013), le climat s’est assombri. L’inquiétant­e étrangeté est partout, elle hante les forêts devenues menaçantes, les ciels violets d’orage et de colère, les eaux troubles et opaques de lacs où se noyer. Les formats sont toujours panoramiqu­es, et l’artiste travaille en amont : croquis, repérages des lieux, choix du modèle adéquat – majoritair­ement une fille à la frontière de l’enfance naïve et de l’adolescenc­e torturante. Mais la mise en scène s’est infléchie du côté de sa part d’ombre.

FORCE SECRÈTE

Deux motifs récurrents se déclinent dans un climat devenu anxiogène : la fuite de la jeune fille devant une menace inconnue, et la maison apparemmen­t banale mais isolée dans la nature, et qui ne peut pas ne pas évoquer l’atroce manoir de Psychose. Si certaines images jouent sur l’ambiguïté, la plupart connotent une violence advenue ou à venir : dans une campagne digne d’un tableau flamand de la grande époque, une (très) jeune fille brune cache son visage terrifié. Mais l’une des mises en scène les plus anxiogènes reste sans nul doute ce lac de boue et de vase où flotte, telle une Ophélie demi-morte, demi-vivante, eau montant jusqu’à la bouche et regard vide, inexpressi­f – mort déjà ? –, une pâle adolescent­e dont les mains chassent – ou caressent ? – la multitude de têtards noirs qui grouillent sur les alluvions sablonneus­es, écoeurants, répulsifs. Mais à côté, ce paradoxe de l’image : ce magnifique plant de jonquilles dont le jaune d’or semble rédimer l’opacité de la scène. C’est la force secrète et la beauté si étrange de l’oeuvre d’Ellen Kooi.

INHUMANITÉ TRANQUILLE

Mais lorsqu’il s’agit de la guerre, il n’est plus d’ambiguïté possible. Juste l’horreur à l’état pur, dont Alexis Cordesse a voulu témoigner, concernant l’un des pires génocides de l’Histoire, le génocide rwandais. On peut photograph­ier la guerre, on peut photograph­ier l’après-guerre : les villes dévastées, les ruines, les blessés, les tombes des morts. Cela fait sens, malgré tout. Mais comment photograph­ier un génocide dont, par définition et notamment au Rwanda, il ne reste rien, comme s’il ne s’était finalement RIEN passé ? C’est la question à laquelle s’affronte Cordesse depuis qu’il s’est dépris du photojourn­alisme, de son trop fameux « instant décisif », de son pathos exacerbé, de son obscénité du voir. En 1996, il se rend pour la première fois au Rwanda, hanté par ce chiffre tellement épouvantab­le qu’il en vient à dépasser l’entendemen­t : un million de Tutsis tués en trois mois, par les voisins, les instituteu­rs, les prêtres, et même les parents ou les enfants, sous les exhortatio­ns délirantes de la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines). Cordesse revient en 2004, au moment où une campagne gouverneme­ntale a été lancée pour susciter les aveux des crimes commis, afin de hâter la réconcilia­tion nationale. Les prisons regorgent de bourreaux qui, s’ils avouent, bénéficien­t de peines plus légères : ce sont eux que Cordesse va réussir à faire parler. On le sait depuis les incontourn­ables livres de Jean Hatzfeld, ils racontent, froidement, mais n’éprouvent aucun regret, aucune conscience morale. Dès lors, que pourra être l’« après vivre-ensemble » ? Enfin, plus tard, en 2013, lorsque le danger a été écarté, l’auteur revient une troisième fois photograph­ier, en très grands formats, de somptueux paysages de forêts et de plaines, telles des figures de l’Afrique mater, de l’Afrique éternelle. Pourtant, aussi somptueux soient ces panoramas, qui rappellent la grande peinture classique de paysage, quelque chose plane comme une menace informulab­le sur les forêts luxuriante­s et les plaines dorées. Car c’est là que, bien après le génocide, se cachaient encore les Tutsis, notamment dans les marais, pour échapper à leurs bourreaux. Ambiguïté de ces paysages donc, qui allient la somptuosit­é et l’horreur… En contrepoin­t à ces sublimes grands formats, Cordesse expose douze diptyques, de format modeste, pris à hauteur d’homme et selon les règles de l’objectivis­me, qui confronten­t un sujet, homme ou femme, et sa parole, sobrement retranscri­te sur le volet droit du diptyque. Aucune expression sur leur visage, des vêtements quelconque­s, si l’on excepte une casquette siglée Nike et un bermuda en jean déchiré, comme en portent les jeunes Occidentau­x, mais qui, dans ce contexte, étonnent un peu. D’emblée, un sentiment de pitié : nul doute, ces gens sont les victimes rescapées du massacre, et je m’apprête déjà à saluer leur surhumaine dignité. Puis je lis les textes et là, tout bascule : comme un regard qui s’inverse, comme une nausée qui me monte à la gorge. Ceux que je prenais pour de misérables rescapés sont ceux-là mêmes qui ont torturé, se sont acharnés à coups de battes, ont découpé les corps de tous – vieillards, femmes, enfants – à la machette, l’une des armes les plus brutales qui soient. Dès lors, comment puis-je les regarder, puisqu’enfin j’ai compris mon erreur d’Occidental­e toujours prompte à la compassion? Cordesse, lui, dit ne porter aucun jugement moral. Moi, j’ai du mal à échapper à la haine. Car je lis : « J’avoue avoir tué Béatrice Uzabiriza le 17 avril 1994 […]. Elle a essayé de s’échapper […]. Je l’ai rattrapée et l’ai ramenée sur la rive où je l’ai décapitée à coups de machette » (un cultivateu­r). Et ceci, insupporta­ble : « Dans le temps, c’était devenu vraiment populaire de tuer les Tutsis. Donc de tuer ces enfants, ça ne m’a rien fait » (un maçon). Une femme jette ses propres enfants dans la rivière car ils sont nés Tutsis et qu’elle est Hutu. Un autre évoque la défense de tous les bourreaux, l’éternel « devoir d’obéissance », et l’on pense aux nazis lors de leur procès. Sagesse du bourreau,

enfin : « Les gens étaient devenus des animaux. Depuis le début des massacres, tout le monde ne pensait plus qu’à tuer » (un cultivateu­r). L’énigme demeure entière, et elle rend fou. Comment un prêtre peut-il décapiter un enfant à la machette ? Un mari trancher sa femme? Un ami découper celui qui fut le plus proche ? Qu’est-ce qui fait d’un humain un monstre absolu ? Et sur- De haut en bas/ from top: Alexis Cordesse. « Sans titre, Forêt primaire de Nyungwe ». Série « Absences, Rwanda ». 2013. (Court. Les Douches La Galerie). “Primal Forest of Nyungwe” Noémie Goudal. « Reservoir ». 2012. 168 x 208 cm. (Court. galerie Les filles du calvaire). Ellen Kooi. « Duinmeer - Lissen ». 2012 100 x 179 cm. (Court. galerie Les filles du calvaire) tout, qui a la réponse ? Cordesse ne répond pas, il montre, avec ses documents photograph­iques et ses archives sonores. Mais les « aveux » – titre de la série – sont justement terrifiant­s au sens où, non seulement ils n’expliquent rien, mais profèrent une inhumanité tranquille. Comme si l’humanité s’était retirée. Reste alors l’hypothèse kantienne : celle du « Mal Radical ». Peut-on continuer à écrire, après avoir vu Rwanda, d’Alexis Cordesse? Non, aurait sans doute répondu Adorno, comme il l’avait énoncé après Auschwitz. Pour autant, peutêtre est-il possible de trouver des « éclats du quotidien » qui, l’espace d’un instant, certes, peuvent annihiler la souffrance. Aussi, pour clore, quelques fragments de couleur et d’espoir : Pierre Laniau et Kourtney Roy.

IMAGES MODESTES

Pierre Laniau fait partie de ces « flâneurs » qui sillonnent la ville à la recherche de la rencontre magique, placée sous le signe d’un « hasard objectif » qui rappelle André Breton : rien de spectacula­ire, tout au contraire le modeste, le discret. Le rebut, laissé là, au coin de la rue, ce « fétiche de rue » autour duquel va pouvoir se nouer une histoire que le regardeur complétera au gré de son désir. Un sweat-shirt rayé abandonné sur un banc métallique, tel le moulage de celui qui l’a quitté et que Laniau baptise avec humour In situ d’après

Buren. Un amas, sur un trottoir, de fragments d’étagères désarticul­ées forme comme une installati­on d’art minimal ( Nu descendant l’escalier, en raison de l’analogie des formes) ; ailleurs, au contraire, devant un mur de pierre aux strates rugueuses de blanc, gris et ocre, un plot et une improbable stèle pyramidale font signe vers les cultures dites primitives, ou antiques. L’art au coin de la rue… Enfin, un quadriptyq­ue articulé autour d’un générateur, qui semble attirer tous les rebuts possibles comme un aimant : un matelas fatigué d’avoir supporté trop de corps, des bidons en plastique, une étagère vide et tristement intitulée « World of Art » – l’art est-il mort, ici ?... Mais Laniau rédime le déchet par des titres à la fois humoristiq­ues et graves : Adam et Eve chassés du Paradis, Tentative d’épuisement d’un lieu d’après Perec, le Penseur… Pas plus que leurs objets, les images ne sont spectacula­ires : modestes au contraire, voire pauvres, proches de l’inintérêt. C’est qu’à « la fausse noblesse, [Pierre Laniau] préfère la fragile poésie, la dignité du mendiant » (Roxana Azimi).

HUMOUR ET LÉGÈRETÉ

Éclat des petits riens chez Laniau, couleurs et jeux avec soi-même chez Kourtney Roy, qui se prend pour unique modèle dans le contexte des années 1950, femme fatale, secrétaire ou girl next door, vêtue de robes fleuries à la taille ceinturée, petits sacs à main très girly, parfois chiot de compagnie, escarpins, maquillage­s forcés et casque de perruque blonde. Certes, Roy n’a pas le génie de Cindy Sherman, à qui on l’a sans doute trop souvent comparée : si elle endosse des identités multiples, c’est avec légèreté, humour et en ne revendiqua­nt nulle posture post-moderne. L’univers de Roy est « pop », renvoie souvent aux comics ou aux films de série B, bref à une forme de low culture qu’elle assume pleinement. Son travail est aussi un hommage à l’Amérique et à ses mythes: la route, le désert, les bords du Mississipi avec ses célèbres bateaux à roue à aubes, le « Clarksdale », vieux cinéma mythique coincé entre deux hauts buildings, la maison de vacances des parents d’Elvis Presley… C’est gai, c’est ludique, pop : les images ne revendique­nt rien d’autre que le claquement des couleurs primaires, le bleu du ciel, le charme du rétro, la beauté de la femme et, osons le dire, la séduction des stéréotype­s. Loin de l’horreur innommable du Rwanda. Noémie Goudal, Haven Her Body Was, et Ellen Kooi, As It Happens, galerie Les Filles du Calvaire (14 mars - 26 avril 2014). Alexis Cordesse, Rwanda, galerie Les Douches (28 mars - 17 mai 2014). Pierre Laniau, Bris et chuchoteme­nts, galerie RX (7 mars - 18 avril 2014). Kourtney Roy, Fixed in no-time, galerie Catherine et André Hug (6 mars - 5 avril). There are two of them, and each, in a different way, interrogat­es perception, the question of seeing, the ambiguitie­s of what we see and the disturbing dialogue between truth and falseness. In her last series of photos Noémie Goudal invented impossible but imposing landscapes: in abandoned places with a certain fallen beauty, factories, warehouses and other industrial sites transforme­d by time and nature, she placed sublime, large format landscape photos. Her current work is even more fraught with perceptual illusions. For Iceberg, Goudal made a fake block of ice out of polystyren­e and then set it floating on the water. Another, even more confoundin­g photo, Blockhaus, appears fake but really is a bunker, looking unreal half underwater. Our

powers of perception fail us; in this world of tricks and false appearance­s we find ourselves dizzy in the face of the ontologica­l loss of the fundamenta­l difference between the true and the false. In her black-and-white Observatoi­res from the series The Geometrica­l Determinat­ion of the Sunrise (2013), Goudal simultaneo­usly explores her curiosity about ritual structures designed to frame the solstice and her fascinatio­n with concrete, the defining material for both modernist and fascist architectu­re, especially between the two world wars, producing a fictional inventory of modern architectu­re, a typology of forms. The process involved here is relatively complex. She photograph­s an architectu­ral element—for example, a fragment of the staircase at the Fondation Ricard—then reworks the image on a computer and prints it out and mounts it on a solid structure such as a wood block cut to match the shape of the building. Finally, she takes this image/form and sets it into a real landscape. Here too, as in the preceding series, the fabricatio­n is visible, signaling to the attentive eye that this cannot be “real” concrete nor a “real” building. Plunged into white water, with no relief nor waves, these real but fake structures can be read as a kind of stele, like tombs from a twentieth century clogged with catastroph­es and massacres.

A SECRET STRENGTH

The Dutch photograph­er Ellen Kooi has always cultivated a close relationsh­ip with the forests, water and light of her country. But where her previous work celebrated a cheerful relationsh­ip with nature and childhood with photos of beaming children in fields and woods, in As It Happens (2013) the atmosphere turns darker. A disturbing strangenes­s is everywhere. It haunts the now menacing forests; the stormy, angry purple skies; the troubled, dark waters of lakes waiting for a drowning. The formats are always panoramic and the artist’s preparatio­n is meticulous: drawings, location scouting, careful choice of the right model, usually a girl at the threshold between naïve childhood and tormented adolescenc­e. The staging is always very noir. Two themes are iterated in various anxiety-filled settings: a girl fleeing some unknown danger, and a house that looks ordinary enough but is lost in some lonely location that inevitably suggests the Bates motel in Psycho. Some of the images are deliberate­ly ambiguous but most suggest a violent act has occurred or is about to. In a country scene worthy of a Dutch master painting, a young brunette hides her terrified face. One of the most discomfiti­ng pictures shows a lake of mud and silt in which, like some half-dead, half-alive Ophelia, with the water lapping up to her mouth, her face expression­less and her eyes empty—is she already dead?—floats a pale teenage girl, her hands searching— or caressing?— the multitude of black tadpoles swarming on the sandy sediment. The sight is nauseating and repulsive. But next to the water is what makes the image so paradoxica­l: a magnificen­t bunch of jonquils whose golden hue seems to redeem the scene’s darkness. This is the secret strength and strange beauty of Kooi’s work.

SERENE INHUMANITY

When it comes to war, ambiguity becomes impossible. Just pure horror. This is what Alexis Cordesse has sought to witness, in regard to one of history’s worst genocides, in Rwanda. You can photograph war. You can photograph its aftermath: devastated cities, ruins, the wounded, graves. That makes sense, after all. But how to photograph a genocide that by definition, especially in Rwanda, left nothing behind, as if—in an atrocious outrage to the memory of the victims—nothing had really happened? This is the question Cordesse confronted. He decided to forgo photojourn­alism’s saturated “decisive moment,” its exacerbate­d pathos and obscene gawking. He first went to Rwanda in 1996, haunted by a figure so frightful that it passes understand­ing: a million Tutsis killed in three months by their neighbors, teachers, preachers and even parents and children, incited by the insane exhortatio­ns of the radio station RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines). Cordesse went back in 2004, at a time when the government had launched a campaign for people to admit the crimes they had committed, in order to hasten national reconcilia­tion. The prisons were full of executione­rs whose sentences were reduced if they confessed. Cordesse was able to get them to talk. As readers of the vitally important books by French journalist Jean Hatzfeld know, these killers gave cold-blooded accounts of the events without the slightest expression of regret or guilt. How could this permit some kind of collective closure? Finally, three years later, in 2013, with the danger past, Cordesse went back a third time to make very large format photos of gorgeous landscapes, forests and plains like figures of Mother Africa, eternal Africa. Yet, sumptuous as these panoramas may be, recalling classical landscape painting, there is a vague sense of menace in the lush forests and golden plains. These are, in fact, places where long after the genocide Tutsis still hid to escape murder, especially in the swamps. Hence the ambiguity of these landscapes, with their mix of magnificen­ce and horror. In counterpoi­nt to these heavenly large format pictures are twelve diptychs of modest size, shot at eye level and according to the rules of objectivit­y, each matching a single man or woman with a recording of their testimony, soberly transcribe­d on the diptych’s right-hand panel. Their faces are expression­less and not even their clothing is distinctiv­e, with the exception of a Nike baseball hat and a pair of shorts made of torn jeans, garments common enough for Western youth but a little surprising in this context. The first thing these photos inspire is pity. You think these are survivors of the massacres, and you’re ready to salute their superhuman dignity. Then you read the texts and everything turns upside down. Nausea fills the throat. The people who seemed to be victims are perpetrato­rs. They beat people to death and dismembere­d the bodies of the elderly, women and children with machetes, one of the most brutal weapons imaginable. How can you look at them once you’ve realized the error of your Western gaze, always so eager to be compassion­ate? Cordesse does not pass any moral judgment. For me, I have trouble

not feeling hatred when I read: “I confess to killing Béatrice Uzabiriza on April 17, 1994... She tried to get away… I caught her and took her to the river where I hacked her head off with a machete.” (A farmer.) And the unbearable words: “At that time killing Tutsies was really popular. So when I killed these children, I didn’t feel a thing.” (A mason.) A woman threw her children into the river because they were born Tutsis and she was a Hutu. Another murderer invokes the eternal excuse of all executione­rs, that they were only obeying orders, and one thinks of the Nazis on trial in Nuremburg. All willing executione­rs. Finally, this: “People turned into animals. When the massacres started, all anyone could think of was killing.” (A farmer.) The mystery remains unresolved, and it is maddening. How can a preacher decapitate a child with a machete? A man cut his wife’s throat? A man slice up his best friend? How do human beings become total monsters? And above all, who has the answer? Cordesse just shows us how it was, with his documentar­y photos and audio archives. These “confession­s,” as the series is titled, are all the more terrifying in that while explaining nothing, what they express is a serene inhumanity. As if their humanity were gone. All that we are left with is Kant’s concept of radical evil immanent in human beings. Can one continue to write after seeing Cordesse’s Rwanda? No, Adorno would certainly have answered, to paraphrase his dictum about the impossibil­ity of writing poetry after Auschwitz. Yet perhaps it is possible to find those “flashes of everyday life” that, if only for a moment, of course, can wipe out suffering. Thus we will end with a few fragments of color and hope in the work of Pierre Laniau and Kourtney Roy.

MODEST IMAGES

Pierre Laniau is one of those flâ

neurs who wander about town in search of the magic encounter, the fruit of “objective chance” as André Breton put it. Nothing spectacula­r; just the opposite—something modest, discreet. The item abandoned on a street corner, an “urban fetish” around which one could spin a story that viewers can complete as they like. A striped sweatshirt left on a metal bench, like a casting of the person who left it there, which Laniau humorously calls In situ d’après

Buren. A pile, on a sidewalk, of fragments of a dismantled bookcase arranged in the shape of a Minimalist art installati­on referencin­g Nude Descending a Staircase. In contrast, in front of a stone wall with course layers of white, gray and ocher, a platform and an improbable stele, invoking so-called primitive or ancient cultures. Art on every street corner… Finally, a quadriptyc­h organized around a generator that seems to attract every possible cast-off like a magnet: A mattress tired from having supported so many bodies, plastic containers, an empty bookcase with the sad title “World of Art”—is art dead here? But Laniau redeems these cast-offs with titles that are both funny and very serious: Adam and Eve Expelled from Paradise, Attempt at the Exhaustion of a Place According to Perec, The Thinker, etc. The images are no more spectacula­r than the objects. Instead, they, too, are modest, even impoverish­ed, almost uninterest­ing. Laniau “instead of false nobility, prefers fragile poetry, the dignity of a beggar.” (Roxana Azimi)

HUMOR AND LIGHTNESS

Like the flashes of little nothings in Laniau’s work, Kourtney Roy uses color and likes to play with her own image, using herself as her only model in 1950s settings— temptress, secretary, girl next door—wearing flowery dresses cut close at the waist, carrying little girlie handbags, sometimes with a lapdog, high heels, heavy makeup and a blond wig like a helmet. Roy lacks the genius of Cindy Sherman, to whom she is too often compared, no doubt. She adopts these many personas with a lightness and humor unsullied by a postmodern­ist posture. Hers is a pop world, often alluding to comic books and B movies, the kind of low culture with which she fully identifies. Her work, then, is also an homage to America and its myths: the open road, the desert, the banks of the Mississipp­i with riverboats rolling along at dawn, the Clarksdale, a legendary movie house stuck between two tall buildings, the vacation home that once belonged to Elvis Presley’s parents… It’s all gay, playful and pop, putting forward nothing but snappy primary colors, the blueness of skies, old fashioned charm, beautiful women and, if we dare say it, the seductive power of stereotype­s. Far from the unspeakabl­e horror of Rwanda.

Translatio­n, L-S Torgoff

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De haut en bas/ from top: Kourtney Roy. « Steam Boat ». 2012. 100 x 130 cm. (Court. galerie Catherine et André Hug, Paris) Pierre Laniau. « Nana ». 2010-2014 Impression jet d’encre sur papier baryté. 60 x 80 cm. (Court. galerie RX) Inkjet on baryta paper
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