Art Press

L’illusion des lumières

Palazzo Grassi / 13 avril - 31 décembre 2014

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Non pas les lumières, mais leur illusion. Autant dire que le Palazzo Grassi ne se transforme pas en magasin de luminaires, brillant de tous leurs feux. Si les lumières l’envahissen­t, c’est comme un trouble, un doute, le pressentim­ent d’une menace. Depuis l’exposition Dynamo au Grand Palais l’an passé et celle de Julio Le Parc, le motif pourrait tourner à la tarte à la crème. Mais Caroline Bourgeois, commissair­e de l’exposition, l’envisage avec une grande finesse. C’est un éblouissem­ent qui accueille le visiteur dès l’atrium. En lieu et place des colonnes et du décor habituel, un océan laiteux, nacré d’un blanc qui hésite entre le mauve, le rose et le bleu. Plus le corps avance, plus le regard vacille et peine à faire le point. C’est le genre d’expérience qu’offre généraleme­nt James Turrell. Mais c’est ici un de ses acolytes, Doug Wheeler, qui a réalisé cette merveille. Appartenan­t lui aussi à la mouvance californie­nne Light and Space, ce plasticien s’est fait discret depuis les années 1970. Mais son retour récent est un vrai bonheur. D’autant que Wheeler ne trouble pas seulement notre oeil, mais notre cerveau. Il suffit de monter à l’étage pour voir tout l’appareilla­ge de sa pièce, et commencer à perdre l’illusion. Philippe Parreno avait déjà commencé le travail de sape en installant dans l’escalier une de ses marquises dont il a fait une symphonie au Palais de Tokyo l’hiver dernier : l’enseigne a perdu sa langue des signes, ses loupiotes étourdisse­nt mais ne disent rien, et le cinéma n’est plus que fantôme. Vidya Gastaldon tente le réenchante­ment : le charme de son arc-en-ciel opère, si fragile avec ses milliers de fils colorés. Et Julio Le Parc parfait le mouvement : plongée dans le noir parfait, son éclipse fait un effet plus fort encore que lors de sa rétrospect­ive de l’an passé. La lumière rase la surface de l’aluminium, tournoie sans jamais obéir au même mouvement. Nous voilà irradiés. Un film célèbre du Californie­n Bruce Conner prend hélas le terme au pied de la lettre : sur l’écran défilent des dizaines d’explosions nucléaires, tentatives américaine­s pour parfaire la force destructri­ce de l’atome sur l ’île de Bikini. Fascinante­s images, desquelles on peine à s’arracher, tant leur ambiguïté sidère. Ainsi va l’exposition : comme une ampoule en fin de vie, elle jette des éclats, puis laisse régner l’obscurité, en courant alternatif. Éclats, cette salle entièremen­t maculée de bleu bic par Latifa Echakhch. Eclipse, quand Danh Vo met à nu la plus belle salle du palais, dépouillan­t ses murs jusqu’à montrer ce qui la ronge, et qui est à peine caché derrière un jeu de rideaux blancs. Bertrand Lavier et (feu) Sturtevant jouent aussi en ce sens un duo confondant : lui en faisant palpiter de néons une oeuvre inspirée de Frank Stella, elle avec une copie du même, dont le noir absorbe tout. Mais la dernière découverte de François Pinault, la jeune peintre Claire Tabouret, réconcilie superbemen­t ces contraires : les enfants qu’elle dépeint sont à la fois lucioles et fantômes.

Emmanuelle Lequeux L’exposition Artlovers au Grimaldi Forum, Monaco (7 juillet - 7 septembre), se propose quant à elle de relire 43 oeuvres majeures de la collection Pinault. Not the lights, but their illusion. No, the Palazzo Grassi has not been turned into a clean bright lighting shop. The light here is pervasive like a haunting, a doubt, the presentime­nt of threat. We’ve already had Julio Le Parc and Dynamo in Paris and the theme could easily get clichéd, but the curator of this show, Caroline Bourgeois, has approached it with real subtlety. Right from the atrium, the visitor is dazzled by the milky white light that fills the place, hiding the usual columns, an ocean tinted with mauve, pink and blue. Turrell, you’d think, but not quite. This wonder is by an acolyte, Doug Wheeler, a member of the California­n Light and Space movement. He has kept a low profile since the 1970s, so his return here is a real joy. Wheeler doesn’t just chal- lenge our eyes, he also provokes our mind: upstairs, the machinery of his piece is on view, the illusion deconstruc­ted. This underminin­g is begun by Philippe Parreno on the stairs with one of the marquises he deployed symphonica­lly at the Palais de Tokyo last winter. The sign is mute, brightness with no message, the movies reduced to ghost status. Vidya Gastaldon attempts to re-enchant with her fragile rainbow of a thousand colored threads. It works. Julio Le Parc completes the movement. Here, his eclipse is even more powerful than it was the Palais de Tokyo last year. The light coasts over the aluminum surface, constantly turning in new directions. We’re all lit up. A famous film by California­n artist Bruce Conner shows light at its most lethal, with dozens of images of American nuclear explosions on Bikini Atoll, both fascinatin­g and disturbing. The exhibition ends like a flickering light bulb, light and dark and then darkness. Shards of light come through the blue ballpoint with which Latifa Echakhch has covered her room. Danh Vo strips the walls of the Palazzo’s most handsome room, revealing what is eating away at them, only just hidden behind white curtains. Bertrand Lavier and Sturtevant form a stunning duo, his palpitatin­g neons inspired by Frank Stella, her copy of the same in a black that absorbs all around. Finally, Claire Tabouret, a young painter recently discovered by François Pinault, manages to reconcile these opposites: her children are at once fireflies and phantoms.

Translatio­n, C. Penwarden

 ??  ?? De haut en bas/ from top: Latifa Echakhch. « Fantôme (Jasmin) ». 2012. « À chaque stencil une révolution ». 2007. “Each Stencil, a Revolution” (Court. de l’artiste et kamel mennour, Paris ; Ph: © Palazzo Grassi, ORCH orsenigo_chemollo) Marcel...
De haut en bas/ from top: Latifa Echakhch. « Fantôme (Jasmin) ». 2012. « À chaque stencil une révolution ». 2007. “Each Stencil, a Revolution” (Court. de l’artiste et kamel mennour, Paris ; Ph: © Palazzo Grassi, ORCH orsenigo_chemollo) Marcel...
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