Jan Dibbets
Castello di Rivoli / 8 avril - 29 juin 2014
Le Castello di Rivoli fête ses 30 ans et a décidé de confier l’inauguration des festivités à un artiste qui avait déjà été montré à l’occasion de l’ouverture du lieu en 1984: Jan Dibbets. Montée en moins de quatre mois, l’exposition Jan Dibbets, une autre photographie, qui se déploie dans les espaces du troisième étage, démontre que la mise en place d’une présentation de qualité ne nécessite pas obligatoirement une préparation de deux, voire trois ans. Limités en effet comme dans nombre d’institutions européennes et italiennes en particulier par des restrictions budgétaires, les responsables de cette rétrospective – la commissaire en est Marcella Beccaria – ont dû faire preuve d’inventivité, de célérité, et puiser dans les ressources « locales ». Cela tombe bien : la trajectoire de Dibbets est inextricablement liée à la péninsule italienne, l’artiste ayant dès 1967 participé à la manifestation orchestrée par Germano Celant à Amalfi, avant d’exposer en 1970 chez Françoise Lambert, à Milan, puis surtout, à partir de 1971 et à de nombreuses reprises, chez Gian Enzo Sperone à Turin et Rome. Leurs espaces ont servi de contexte et de prétexte à l’élaboration de pièces majeures. Il en sera de même de quelques détails architecturaux – par exemple, le plafond de la maison de l’artiste à San Casciano, en Toscane, ou le sol du Dôme d’Orvieto – représentés par Dibbets dans les années 1980 via ses montages panoramiques. La crise a finalement du bon : elle a permis de dénicher dans des collections particulières italiennes des oeuvres rares pour ne pas dire exceptionnelles, pour certaines d’entre elles jamais exposées et encore moins documentées depuis les années 1970. Conjuguées à des travaux plus ou moins notoires de Dibbets, celles-ci permettent de mesurer sa place incontournable au sein de l’histoire de la photographie dite plasticienne. Mais une histoire autre, comme le précise le sous-titre de l’exposition. En cherchant à extraire la photographie d’une logique documentaire et factuelle, en interrogeant ses spécificités tout en déconstruisant ses paramètres constitutifs, Dibbets est effectivement parvenu, et ce dès la fin des années 1960, soit à une période, conceptuelle, où une telle émancipation n’était pas encore tolérée, à expérimenter une voie que d’autres artistes, notamment de l’École de Düsseldorf, ne manqueront pas d’emprunter. L’accrochage du Castello di Rivoli ne respecte pas la chronologie et mélange opportunément des familles d’oeuvres souvent éloignées les unes des autres. Le résultat, surprenant, permet à la fois de dégager l’homogénéité du propos de l’artiste et son sens de l’inventivité, ses prises de risques et sa quête de l’« absolu », Dibbets n’hésitant pas à reprendre, souvent après plusieurs décennies, d’anciennes familles ou séries, comme l’attestent ses récentes et éblouissantes Colorstudies. Celles-ci illustrent parfaitement ce que l’artiste entend par une « autre photographie ».
Erik Verhagen As the Castello di Rivoli’s thirtieth birthday approached, it decided to inaugurate the festivities with an artist whose work was there when it opened in 1984: Jan Dibbets. Prepared in under four months, the fourth floor exhibit Jan Dibbets, un’altra fotografia proved that a well-installed show need not require two or even three years of preparation. Facing the same budgetary limits as many European museums, especially in Italy, the organizers (Marcella Beccaria is the curator) had to be inventivene and fast, and draw on “local” resources. Luckily, Dibbets’s links with Italy go back to 1967 and an exhibition in Amalfi curated by Germano Celant. He had a show at Françoise Lambert, Milan, in 1970, and many at Gian Enzo Sperone’s galleries in Turin and Rome. These spaces gave him the context and pretext to make major pieces. The same role was played by architectural details, such as the ceiling of the artist’s Tuscany home in San Casciano and the floor of Orvieto cathedral, which Dibbets represented in the 1980s in panoramic montages. The financial crisis has had its positive side, leading to the public display of rare artworks previously held unseen in Italian private collections. Some had not been shown or even documented since the 1970s. Exhibited together with better-known works, they show just how central a role Dibbets has played in the history of what is known as painterly photography, even if that role has been unconventional (a “different kind of photography,” as the exhibition’s subtitle puts it). His quest to bring photography out of the documentary and factual desert by interrogating its specificities and deconstructing its parameters in the late 1960s, when conceptualism was riding high and such emancipation was not yet tolerated, led him to explore an approach that would subsequently be followed by other artists such as those of the Düsseldorf school. The hanging at Castello di Rivoli is not chronological; instead it offers an excellent mix of families of work that are often quite different from one another. The surprising result is a show that highlights the homogeneity of Dibbets’ work and his sense of inventiveness, his willingness to take risks and his pursuit of the “absolute.” Dibbets has never hesitated to return to former families or series even after many years, as attested by his recent and dazzling Colorstudies, a perfect illustration of what he means by “another kind of photography.”
Translation, L-S Torgoff