Jacques Aumont
Limites de la fiction
Bayard
En s’interrogeant sur le concept de « fiction » au sein des images mouvantes (principalement le cinéma), Jacques Aumont produit un singulier essai dont l’équilibre oscille entre théorie, histoire du cinéma, pédagogie de l’image et goûts personnels. « Le spectateur de fiction, c’est avant tout le spectateur de cinéma » : après avoir affirmé l’indéracinable présence de la fiction (même sous les ères de soupçon) au fondement de toute création cinématographique et explicité le jeu propre à la « suspension d’incrédulité » (Coleridge) qui fonde le spectateur, Aumont dresse une cartographie expérimentale du domaine de la fiction, à la fois dans les objets filmiques et dans les expériences spectatorielles associées à ces derniers. « [Le cinéma] mobilise un dispositif qui concentre le regard ; il nous confronte à un temps qui n’est pas le nôtre, il offre l’idéal (esthétique et éthique à la fois) d’une rencontre renouvelée avec le monde » : ainsi, les qualités (et parfois, contraintes) de l’art cinématographique sont idéalement proportionnées aux puissances de la fiction, puissances sensibles d’inscription, d’affect et d’intelligibilité. Plutôt que de définir des territoires fictionnels clos ou des typologies, Aumont détaille un ensemble de frontières entre la fiction et un de ses dehors possibles (tels que le document, l’imagerie, le jeu vidéo, ou les installations muséales), et explicite les rapports qui les engagent (distance, menace, critique, diagnostic, indistinction ou renversement). Ces réflexions, qui prennent de biais l’histoire du cinéma – traversant le projet critique moderniste aussi bien que les apories postmodernes –, sont autant de manières d’interroger notre place actuelle, face à des images mouvantes moins indistinctes qu’il n’y paraît.