Štefan Papcˇo
Le Slovaque Štefan Papcˇo transforme la perception que nous avons du paysage en se confrontant à des situations extrêmes, telles que les conditions d’ascension d’une montagne par une communauté de grimpeurs. Son travail tente de donner une forme à des questions qui animent la société contemporaine fragmentée : qu’est-ce qui lie les êtres humains ? Qu’est-ce qui les sépare ? Y a-t-il quelque chose qui permette d’identifier un être humain en particulier ?
Štefan Papcˇo travaille en remaniant notre perception du paysage et des hommes dans un environnement brut. Il s’intéresse à des situations de vie extrêmes, comme celles qu’expérimente une communauté de grimpeurs lors de la traversée d’un massif montagneux. Ce jeune sculpteur examine le paysage « comme potentiellement capable de décrire l’évolution à long terme d’une communauté liée à un endroit précis ».
VERS L’ACCOMPLISSEMENT DE SOI
Štefan Papcˇo explore aussi l’intensité avec laquelle évolue spirituellement une communauté dont les membres partagent des contraintes identiques, qu’il s’agisse du temps, de l’espace ou d’un contexte politique. Son oeuvre véhicule une vision positive, indispensable à la survie humaine: la force de l’esprit intérieur qui peut déplacer les montagnes. Dans le contexte actuel de crise économique et politique, cette vision semble plus que nécessaire. L’alpinisme en tant que tel implique d’affronter volontairement une situation à risque. En Tchécoslovaquie, pendant la période de « nor- malisation », il symbolisait une forme accessible de l’accomplissement de soi, ainsi que la possibilité d’aller au-delà des limites politiques du « rideau de fer ». Les grimpeurs qui avaient excellé dans l’ascension des Hautes Tatras (Slovaquie) étaient affectés à des délégations qui se réunissaient deux fois par an pour grimper dans les Alpes ou dans d’autres hautes montagnes d’Europe. Grâce à ces figures exceptionnelles, un pont a été jeté entre l’Europe orientale et l’Europe occidentale, à une époque où, politiquement, la Tchécoslovaquie s’engageait exactement dans la direction opposée. Pour concevoir le groupe sculpté Citoyens, Štefan Papcˇo est parti de photographies d’archives. Il a créé des sculptures en taille réelle des personnalités marquantes de l’alpinisme en Tchécoslovaquie dans les années 19701980 et il les a placées dans leur milieu naturel. Les cinq alpinistes qui ont servi de modèle sont : Alena Cepelková, Stanislav Glejdura, Igor Pochylý, Igor Koller et Miroslav Šmíd. Le projet Citoyens prévoit de transporter ces sculptures et de les installer pendant une période de trois ans sur des parois monta-
gneuses d’Europe, celles-là mêmes que les cinq alpinistes choisis avaient escaladées. Pour ce groupe de sculptures, Štefan Papcˇo a choisi le bois pour matériau. Le bois est à la fois vivant et instable, capable de s’adapter et de se laisser façonner sous l’influence de l’environnement. Ce choix met en évidence la portée symbolique de l’oeuvre : donner corps aux changements intérieurs qu’une personne connaît dans son chemin vers la liberté.
ÉPREUVE DE LA LIBERTÉ
Une exposition sera le témoignage du projet. Elle présentera les images des sculptures retransmises en direct. Grâce à un réseau complexe de caméras installées à proximité de ces bivouacs hors normes, il sera possible d’observer en ligne et en temps réel les légères modifications de ces sculptures avec le temps. L’approche de Štefan Papcˇo se reflète dans sa manière de relayer auprès du visiteur de la galerie l’expérience très personnelle de l’alpiniste. Il traduit visuellement, pour le spectateur bien à l’abri dans les murs de l’institution culturelle, l’expérience élémentaire. Dans la phase ultime du projet, chacune de ces sculptures sera à la fois coupée de son environnement naturel et projetée dans un montage virtuel qui, depuis des lieux géographiquement très éloignés, les réunira, pour une étonnante unité de composition, en un groupe statuaire virtuel. L’environnement naturel où chaque statue sera placée lui insufflera la vie, lui conférera une valeur ajoutée et du sens, notamment en fonction des conditions climatiques du moment. Mais, par ailleurs, placées virtuellement en présence des autres statues dans l’environnement culturel de l’exposition et réintroduites en société, elles trouveront là aussi une vie nouvelle, une autre valeur, un autre sens. En donnant corps à ces cinq personnalités de l’univers de la montagne, le jeune sculpteur slovaque apporte une vision unique et complexe des questions telles que « l’individu face à la communauté », « le citoyen par rapport à la société ». Il est allé puiser dans l’histoire des années 1970-1980 en territoire tchécoslovaque, avec les restrictions sévères et les contrôles omniprésents que cette situation politique impliquait pour l’individu et la société tout entière. Et il cherche avant tout à donner, par des moyens artistiques, une forme substantielle à la qualité particulière de l’expérience commune à ces sportifs. Le projet Citoyens s’approprie le passé proche, en vue de le remettre « en circulation ». Son approche dit la nécessité de ne pas oublier. Dans cette époque accélérée, qui prétend n’avoir aucune référence historique, cette oeuvre donne corps à notre besoin impératif de délivrer les choses importantes des griffes de l’oubli. Son travail prend ensuite la forme d’une déclaration universelle sur la découverte et l’expérimentation d’une forme de liberté sous les figures de l’ascension, de la conquête, de la traversée des frontières, de la solidarité, de la prise de risques et de l’accomplissement de soi. Silvia Van Espen est commissaire d’exposition, fondatrice de la galerie d’art contemporain ZAHORIAN&Co à Bratislava.