Burning Down the House- 10e biennale
Divers lieux / 5 septembre - 9 novembre 2014 Dès le parvis du bâtiment conçu pour abriter la biennale se dressent deux containers au premier abord anodins, mais à l’intérieur desquels, par les baies ménagées dans leurs parois métalliques, on aperçoit des ossements humains, répertoriés et rangés dans des caissettes. Ce comité d’accueil légèrement morbide, installé à l’occasion d’une cérémonie qui s’est tenue le jour du vernissage, constitue la part performative d’une émouvante installation vidéo de l’artiste coréenne Minouk Lim, consacrée aux familles de victimes de massacres perpétrés durant et après la guerre de Corée, et celles d’étudiants tombés lors de ce qu’on appelle le « soulèvement de Gwangju », traumatisme dont le souvenir irrigue véritablement la biennale – en mai 1980, l’armée ouvrit le feu sur les foules estudiantines opposées au régime dictatorial d’alors, faisant officiellement deux cents victimes. Aux containers répondent de fumants fourneaux noirs de suie de Sterling Ruby, qui évoquent l’enfance de l’artiste dans une maison de Pennsylvanie ; mais l’on songe aussi, bien évidemment, à des crémations moins domestiques. Organisée par Jessica Morgan, désormais à la tête de la Dia Foundation à New York, cette dixième biennale de Gwangju s’intitule Burning Down the House, en référence à la chanson éponyme du groupe Talking Heads. Dans l’introduction du catalogue, la commissaire évoque la métaphore d’un feu régénérateur qui, en s’attaquant en quelque sorte aux murs de l’habitude (la maison), prépare la renaissance pour un avenir transformé. De fait, le parcours démarre fort, avec un grand nombre d’oeuvres portant la marque du feu, des conflits et de la noirceur de l’époque. Ainsi des performances de l’Australien Ken Unsworth qui, au milieu des années 1970, présente cinq tableaux vivants en forme de cérémonie, dont un où il apparaît suspendu par la tête entre deux poutres de bois. Les sculptures organiques de Lee Bul, utilisées lors de performances anciennes, ne sont pas moins angoissantes. La maison hantée d’Eduardo Basualdo, la créature simiesque d’Huma Mulji, ou encore les marsupiaux marchant au pas de l’oie de la Sud-Africaine Jane Alexander témoignent d’une même inquiétude. De cet ensemble ressortent plus particulièrement deux oeuvres jouant chacune une partition très différente. La grande installation d’Ed et Nancy Kienholz, clinquante et bruyante comme un parc d’attractions, nous plonge au coeur d’un monde renversé, celui du carnaval, où les cavaliers en viennent à porter leur monture, et les peuples à disposer de leur gouvernement – à chaque exposition de cette oeuvre, il est demandé aux populations locales si elles sont satisfaites de leurs dirigeants ; et il semblerait que la réponse, invariablement, soit : non. Les dessins de la Turque Gülsün Karamustafa racontent quant à eux en quelques saynètes silencieuses et poignantes les mois que l’artiste passa dans une prison pour femmes au début des années 1970 en raison de ses activités politiques. Dans ces gouaches, l’éclat des couleurs contrebalance subtilement la tristesse que nous inspire le récit de ce huis clos féminin. La suite immédiate du parcours est plus convenue, plus conforme à l’idée générique d’une biennale internationale, avec ses stars intercontinentales (Olafur Eliasson et son cercle de feu ; Carsten Höller et ses sept portes vitrées automatiques), une large section gender, et d’irritantes performances déléguées à des « figurants ». Une dizaine d’hommes et de femmes saluent ainsi le visiteur en lui serrant la main (Allora & Calzadilla) ; une jeune fille demande l’heure et votre prénom, qu’elle inscrit sur un mur (Roman Ondák) ; enfin, un annonceur clame votre patronyme (Pierre Huyghe) lorsque vous pénétrez dans l’espace recréé à l’identique de l’appartement new-yorkais d’Urs Fisher. Le dernier étage ménage à nouveau d’heureuses surprises. Seulgie Lee accroche de séduisantes tapisseries géométriques abstraites. Tandis que Jianyi Geng enferme dans des coffrets de plexiglas les objets et meubles déglingués qu’on lui apporte, créant une manière de musée de l’obsolescence. Enfin, l’une des oeuvres les plus impressionnantes est sans doute le grand tableau du Philippin Rodel Tapaya, inspiré d’une ancienne légende selon laquelle un chien géant sauva un village d’inondations dévastatrices. Le réalisme magique et un sens très sûr de la composition et de l’histoire de la peinture confèrent à cette oeuvre une intrigante intemporalité. Dans le Musée d’art de Gwangju, la Biennale a organisé une exposition pour fêter ses vingt ans d’existence. Là encore, le souvenir du massacre de 1980 constitue l’arrière- plan de Sweet Dee-Since 1980, dont l’intitulé se réfère à une fonction réparatrice de l’art dans la culture bouddhiste. Il y est donc question de traumas, du sort peu enviable des femmes coréennes durant l’occupation japonaise, de luttes sociales, de meurtres de masse. Dans un tableau de Yobae Kang, le regard est tout d’abord happé par la beauté des fleurs rouges de camélia qui explosent au premier plan, avant de distinguer d’autres taches écarlates dans le paysage, celles du sang sur la neige lors d’un massacre perpétré par l’armée coréenne sur l’île de Jeju en 1948. On compte également des dessins de l’Américain Ben Shahn (dont le musée possède un grand nombre d’oeuvres grâce à un généreux mécène) et de l’Allemande Käthe Kollwitz. Hong Sung-Dam a quant à lui réalisé, au début des années 1980, peu après le massacre dont il fut le témoin, toute une série de gravures qui en racontent le déroulement. La non-présentation d’un de ses récents tableaux satiriques a entraîné une chaîne d’événements complexe (le retrait des oeuvres de certains artistes, puis leur réintégration, mais oblitérées d’une banderole clamant leur soutien à leur collègue) et provoqué, c’est triste, la démission du président de la Biennale, le très actif Yongwoo Lee. Preuve en est que le soulèvement de Gwangju demeure un sujet éminemment sensible, et que les blessures sont longues à cicatriser. On the forecourt of the building designed to house the biennial stand two inoffensive-looking containers. Through the windows in their metal sides, however, we can see human bones, classified and set out in crates. This slightly morbid welcoming committee, set up on the occasion of a ceremony held on opening day, constitutes the performative aspect of a moving video installation by the Korean artist Minouk Lim, about the families of the victims of massacres perpetrated during and after the Korean War, and the families of students killed in what is called the “Gwangju uprising” of May 1980, when the army opened fire on student protesters against the dictatorial regime of the day, leaving an