DÉCOMPLEXER L’EUROPE l’influence américaine
Si l’on veut faire vite, disons que le legs laissé par la photographie américaine à partir des années 1960 est multiforme et relativement circonscrit. Il touche à l’engouement exacerbé pour le document (social ou personnel), qu’incarne en partie la nouvelle street photography ; impose un point de vue distancié sur le monde, en particulier le paysage, vidant ainsi l’Europe (et en particulier la France) du démon de l’anecdote et des éga- rements de l’humanisme ; concentre la photographie autour des problèmes de forme et de spécificité que le médium lui confère, laissant le photographique prendre enfin le pas sur l’illusion de réel (mais de cela, elle fut d’abord tributaire du legs européen, celui de Moholy-Nagy en particulier [1]) ; arrime la photographie au circuit du monde de l’art, celui des galeries, des enchères, de la sacralisation de l’objet photographique ; puis, finalement, la fait dériver du conceptuel (y compris pour ce qui est du refus des traditionnels outils de documentation, avec Allan Sekula), vers son évasion générale dans le régime des images banalisées (Ed Ruscha). Fin de parcours et de ce qu’on nomme la « modernité photographique ». Ce catalogue esquissé, il revient d’en dégager les opérateurs ou les mouvements essentiels, ceux qui lui ont donné suffisamment de consistance pour, avec bien sûr variantes, ajustements, voire transformations, l’imposer à la photographie européenne, emplissant parfois des territoires que celle-ci avait délaissés (la voie documentaire), ou dont parfois les Américains s’étaient déjà emparés : je pense ainsi à la Nouvelle Objectivité allemande dont les paysagistes américains