Éditorial En attendant le monde idéal
While waiting for an ideal world. Catherine Millet
Cher lecteur, vous échappez, en ouvrant ce numéro d’artpress, à la polémique Paul McCarthy, l’anal (qui n’avait quand même pas mis place Vendôme un gros cochon sodomite), vous n’échapperez pas à Jeff Koons, le sentimental (dont les sculptures le représentant explicitement dans un rapport sexuel ont été écartées de sa rétrospective à New York) (1). Dans les pages qui suivent, vous lirez l’analyse critique que Robert Storr consacre à ce dernier. Elle est sévère, mais Storr a pris le soin de l’étayer. Il ne part pas d’une position de principe – c’est lui qui avait interviewé l’artiste pour nous en 1990 –, mais s’attache à distinguer entre différentes périodes, différentes réalisations. Nous suivons l’actualité en essayant de ne pas nous laisser éblouir par les stars de l’art contemporain, mais sans donner non plus dans des polémiques souvent aussi racoleuses que ce qu’elles prétendent dénoncer, ou feignent de dénoncer. Donc, pas de titre à sensation en couverture de notre numéro 417 où, toutefois, pointe le nez d’un mignon minou koonsien. Ce choix ne va pas sans poser des questions. Alors que Storr exprime plus que des réserves sur l’exploitation que Koons fait de ce type d’images, nous nous servons nous-mêmes d’une de ces images pour accrocher l’oeil de l’éventuel acheteur. Outre qu’on n’a jamais trouvé mieux pour une couverture de magazine d’art contemporain qu’une oeuvre pop ou néo-pop qui a l’efficacité de sa matière première, les grandes expositions dans les musées sont devenues depuis quelques années un élément très porteur, comme on dit, pour une presse confrontée à une crise à la fois économique et technologique. Les lecteurs ont sans doute déjà constaté à quel point ces expositions suscitent de suppléments et de numéros spéciaux de journaux et magazines, y compris généralistes. Éternelle contradiction. Sauf à limiter notre audience, il est bien difficile de ne pas naviguer nous-mêmes au milieu des contradictions dans lesquelles tout le monde de l’art contemporain, ex-d’avantgarde, louvoie, essayant, dans les meilleurs des cas, d’éviter les écueils. Évidemment, dans un monde idéal, les musées n’exposeraient que des oeuvres contemporaines aussi profondes et raffinées que celles de l’avant-garde florentine, pour un public aussi exigeant intellectuellement que les philosophes de l’École de Francfort, et auquel une presse apporterait, au travers des centaines de milliers d’exemplaires, une information et une réflexion pertinentes… Nous ne désespérons pas d’atteindre cet idéal, car sinon pourquoi poursuivrions-nous avec autant de constance notre travail ? Mais en attendant, nous faisons ce que nous pouvons.
Catherine Millet
(1) Ce qui signifie que les artistes savent mesurer les limites de leurs provocations comme les institutions savent mesurer celles de leur tolérance. Dans cette perspective, il est intéressant de se demander si McCarthy aurait recueilli les mêmes soutiens en exposant à la même place un de ses cochons ou de ses Pinocchio lubriques, et il convient d’être attentif au parti qui sera celui du Centre Pompidou dans l’accrochage de l’exposition Koons ouvrant le 26 novembre. Sur les relations entre McCarthy et Koons lire l’interview du premier par Christophe Kihm, artpress n° 336, juillet-août 2007.
Dear reader, in this issue of artpress you will be spared the controversy around our butt-plug friend Paul McCarthy (who at least didn’t stick a big sodomite pig on Place Vendôme), but youwill not be spared the sentimental Jeff Koons (whose sculptures showing him wielding his pork sword were excluded from his New York retrospective [1]). Or rather, Koons is not spared the analysis meted out here by Robert Storr: severe but with ample substantiation. Robert Storr does not criticize on the basis of mere principle—he it was, after all, who interviewed the artist for us in 1990—but carefully distinguishes between different periods and different works. We try to offer a view of current artistic events that is neither starstruck nor prone to the kind of pre-jaded media polemic that is often as empty as the hype it purports (or pretends) to deflate. So, sorry to say that the cover of this issue has no sensationalist title. Still, it does sport a cute little Koonsian snout. This, I admit, is questionable. While Storr critiques the artist’s use of such images, here we are hoping that they will catch the potential buyer’s eye. Apart from the fact that Pop or Neo-Pop images have an unbeaten track record as covers of contemporary art magazines— they have the impact of their raw material—blockbuster shows in museums have in recent years become an important outlet for a press struggling with an economic and technological crisis. Readers cannot have failed to have noticed the welter of special issues produced to accompany such exhibitions, even by nonspecialist publications. So there you have it, the eternal contradiction. Unless we decide to limit our audience, it is difficult not to navigate amidst the contradictions that the whole contemporary art world, the ex avantgarde, must negotiate, doing our best not to hit the rocks. Obviously, in an ideal world, museums would exhibit only contemporary works that were as profound and refined as those of the Florentine avant-garde, for a public as rigorous as the philosophers of the Frankfurt School, one stimulated by the germane and perceptive prose of the press, with print runs in the hundreds of thousands. We haven’t given up on that ideal—why keep working, otherwise? But until it is reached, well, we do what we can.
Catherine Millet Translation, C. Penwarden
(1) Which signifies that artists know how to measure the limits of their provocation and that institutions know where their tolerance begins and ends. In this regard, we might ask whether McCarthy would have received the same support if he had exhibited one of his lubricious pigs or Pinocchios in the same setting, and we should keep a close eye on the way the Pompidou handles its hanging of Koons, opening November 26. On the relations between McCarthy and Koons, see Christophe Kihm’s interview with the former in artpress 336, July-August 2007.