3e Biennale de Belleville
Divers lieux / 25 septembre - 26 octobre 2014 Les deux précédentes éditions de la biennale de Belleville, « biennale de quartier », prenaient appui sur le tissu urbain local. Avec la Piste des Apaches, le thème de la marche étend le périmètre de l’événement : la proposition tient de l’écheveau qu’on déroule, et invite à franchir le périphérique. Si le centre névralgique reste le Carré de Baudouin, celui-ci n’est que l’antichambre d’une biennale qui tente autant d’évincer l’objet que sa destination habituelle, l’exposition. Le parti pris de l’art comme expérience est adapté à l’esprit de la biennale. Et ambitieux. Car la valorisation de l’expérience vécue d’un espace donné a pour corrélât le désir de dématérialisation. La marche, c’est entendu, produit de nouvelles manières de se rapporter à son propre corps, de nouvelles stratégies de spatialisation. Mais que laisse-t-elle dans son sillage, et qu’en montrer? La question de sa transposition dans le monde de l’art est aussi inévitable qu’épineuse. « Dispositif multiple », le Carré de Baudouin, s’il accueille une librairie, un espace de projection et une artothèque, ne fait pas l’économie de l’exposition. Cammina cammina, dont le commissariat est assuré par Patrice Joly, plante le décor historique avec des figures tutélaires comme Richard Long ou Hamish Fulton, tout en accueillant des réalisations liées aux propositions performées qui forment l’essentiel du programme. Des socles accueillent les petites sculptures que Laurent Tixador a réalisées à partir d’objets collectés au cours de son trajet à pied de Nantes à Belleville. Agrémentées d’inscriptions, elles témoignent de la situation d’inconfort du nomade moderne que rien n’oblige plus à cheminer à pied. Participatives, les marches de Dector et Dupuy (entre le Carré Baudouin et la porte des Lilas) ou de Jacques Clayssen et Patrick Laforet (reliant la galerie Ropac de Pantin à celle de Gagosian au Bourget) donnent lieu quant à elles à une documentation vidéo qui attire l’attention sur la poésie de l’infime au creux des interstices urbains. On retiendra également l’ambitieux projet de Capucine Vever : téléguidé par une application à télécharger sur son smartphone, le flâneur écoute des récits décrivant les anciennes carrières sous ses pieds. Par sa pauvreté iconique, la marche, en effet, a souvent été abordée de manière indirecte, et requalifiée en dérive ou déambulation, son versant fictionnel. C’est le cas avec les Mots bleus de François Aubart et Benjamin Seror, une série de lectures dans ces bars de Belleville où se prolongent souvent les vernissages. Et chez Laëtitia Badaut Haussmann pour A Program #2, où le paysage se fait décor et les acteurs se mêlent aux quidams. La collaboration avec les associations locales, et avec des structures émergentes, dont Khiasma ou le collectif de curateurs Exo, élargit encore un peu plus le spectre de cette biennale. À l’instar de la manifestation de fantômes organisée par Adrien Guillet et Camille Tsvetoukhine, cette troisième édition est une présence en creux. Mais pour qui s’y prête, elle est à même de rénover la perception de l’ordinaire. The last two editions of the Belleville Biennale, touted as a Paris “neighborhood biennial,” sought to tighten the local warp and weft. With the “Piste des Apaches” (Apache Trail), this year’s theme, the city is treated more like a skein to be unraveled. Visitors are invited to take a walk all the way to the wild side outside the city line. While the event’s nerve center is still the Carré de Baudouin, that venue is now simply the antechamber for a biennial whose aim is to depose both the object and its habitual destination, the exhibition. The position that art is experience suits the spirit of this event. It’s ambitious, too, because the correlate of the valorization of the lived experience of a given space is a yearning for de- materialization. Of course walking produces new kinds of relationships with our own bodies and new strategies of spatialization. But what does it leave in its wake, and what of that can be shown? The question of its transposition into the art world is as thorny as it is inevitable. As a “multipurpose machine,” the Carré de Baudouin includes a library, a projection room and an “artothèque” as well as an exhibition, Cammina cammina, curated by Patrice Joly. Sprouting up amid this historic venue is work by iconic figures such as Richard Long and Hamish Fulton, in addition to the performance projects that dominate the programming. Atop pedestals are small sculptures made by Laurent Tixador using objects he collected during his long march from the city of Nantes to Belleville. Adorned with inscriptions, they are testament to the voluntary discomfort suffered by the modern nomad who no longer travels on foot by necessity. The guided tours led by Dector & Dupuy (between the Carré Baudouin and the Porte des Lilas) and Jacques Clayssen and Patrick Laforet (between the Ropac gallery in the suburb of Pantin to the Gagosian gallery in Le Bourget) produced videos that draw our attention to the poetry of tiny details found in urban interstices. In another memorable and ambitious project, by Capucine Vever, strollers use an app downloaded on their smartphone to listen to descriptions of the abandoned quarries under their feet. Since it is so iconically impoverished, walking has often been dressed in more literary garb and given fancy names like a promenade or perambulation. This fictional dimension is what characterizes Les Mots bleus by François Aubart and Benjamin Seror, a series of readings in the Belleville bars where people often gather after gallery openings. In Laëtitia Badaut Haussmann’s A Program #2, the cityscape is a stage and actors intermingle with passers-by. The spectrum of this year’s Biennale is further enhanced by partnerships with local non-profits and emerging groups such as Khiasma and the curators’ collective Exo. Like the ghostly events organized by Adrien Guillet and Camille Tsvetoukhine, this third edition requires reading between the lines. But for those willing to do so, it can renew our perception of the ordinary.
Translation, L-S Torgoff