Art Press

Par ailleurs (Exils)

- Paloma Blanchet-Hidalgo

Christian Bourgois Romancière et essayiste d’origine vietnamien­ne, Linda Lê a, de son propre aveu, perdu contact avec sa langue natale après être partie pour la France en 1977. Son oeuvre, tout entière marquée par la question de l’origine, envisage l’altérité dans ce qu’elle a de plus bouleversa­nt. Réflexion sur l’expatriati­on et l’exil de l’intérieur – ce sentiment d’être étranger dans son propre pays –, l’essai Par ailleurs (Exils) évoque tour à tour les destins de grands apatrides de la littératur­e : Ovide, Joseph Conrad, Marina Tsvétaïéva, Antonin Artaud, Jean Amrouche ou Kateb Yacine. Ces écrivains en dissidence, souvent « maudits d’étrangeté », selon le mot d’Albert Cohen, ont trouvé une patrie dans les mots. Au fil de ces portraits, c’est bien l’universell­e figure du « métèque » que célèbre l’auteure, invitant à reconnaîtr­e cet autre non comme un étranger à soi, mais comme un glorieux « irrésigné », à la présence nécessaire. Le déracineme­nt est une chance ; l’hybridatio­n, un ressourcem­ent. Linda Lê le montre, qui, jusqu’au vertige, engage à jouir de ce qui est autre. Inlassable passeuse des arts, portée par un exaltant « sentiment d’intranquil­lité », elle a ici fait siennes ces lignes de Victor Segalen : « Tout confondre, de l’Orient à l’Ouest et du Midi au Nord, pour atteindre l’autre, le cinquième, Centre et beau milieu / Qui est moi. » Prose, certes, mais aussi poésie dans l’équilibre de ses motifs et dans ses jeux de miroir, Par ailleurs (Exils) éveille à ce que Maurice Blanchot nommait l’« infinité de l’altérité ». Son acuité, sa finesse d’analyse font sa force. Le lire, c’est accueillir en soi les antipodes, les espaces inouïs que recèle la littératur­e ; c’est aussi savoir que toute écriture porte en elle l’exil, et aspire à n’être de nulle part.

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