L’Art du cinéma
Citadelles et Mazenod Ce n’est pas si fréquent qu’un beau livre soit un bon livre. C’est le cas ici avec cet énorme volume consacré à l’histoire tout autant qu’aux inventions plastiques et narratives du cinéma. Jean-Michel Frodon annonce d’emblée un principe dont l’organisation même du livre tente de vérifier la fécondité : « l’invention du cinéma est synchrone de la conception moderne de nation ». L’hypothèse peut paraître inattendue en ces temps de méfiance (justifiée) à l’égard des nationalismes renaissants et des séductions mondialistes. Pourtant, cette ressemblance qu’impose une vision rétrospective entre le phénomène national et le phénomène cinématographique, tout en gardant une disponibilité exceptionnelle à l’égard du processus de mondialisation, dote ce livre somptueux d’un point de vue original. À l’instar de la vocation du cinéma – raconter, montrer, enregistrer –, les pages organisent de nerveuses proximités iconographiques et contribuent au plaisir du feuilletage tout autant qu’à la lecture. Bien sûr, on sait sans doute déjà tout ! Mais c’est une synthèse nouvelle (toute synthèse est historique, comme l’est une traduction) qui contribue à l’intérêt d’un livre dont de nombreuses images rarement choisies dans cette catégorie de livres luxueux invitent à un découpage historique original mêlant chronologie, genres et spécificités nationales de manière virtuose. Le point de vue de Frodon est généreux : il « chante » tout le cinéma mais n’en oublie pas pour autant la nécessaire hiérarchie des talents et des novations. Bien qu’on puisse être surpris pas des enchaînements un peu brutaux (des jeunes Anglais en colère à Wim Wenders), la flânerie est réussie parmi des textes courts et directs et la reproduction d’images qui font spectacle.