David Maljkovic
Palais de Tokyo / 20 octobre 2014 - 11 janvier 2015 Pour la première fois depuis la réouverture en 2012, le niveau 0 du Palais de Tokyo, sombre, baroque et rétif à l’apprivoisement, est investi par un seul artiste. Si, à l’été 2014, l’exposition collective All That Falls (commissariat Gérard Wajcman et Marie de Brugerolle) dans le même espace, éludait le problème en venant y greffer des espaces cloisonnés, In Low Resolution, dont Julien Fronsacq est le commissaire, redonne une lisibilité à l’espace ouvert. Deux socles muséaux blancs créent des platesformes qui courent entre les colonnes et viennent tailler dans les sols pentus. L’invitation sonne juste : la démarche de David Maljkovic s’articule autour d’un jeu sur les dispositifs de présentation. Il est né en 1973 en Croatie, et son oeuvre éclôt dans le contexte du démantèlement de la Yougoslavie. Le constat de l’érosion de la mémoire ne passe pas pour autant par un « mal d’archive ». Il s’agit de redonner une valeur d’usage aux monuments abandonnés. Un principe qu’il étend à l’ensemble de sa pratique : les formes, d’origine historique ou provenant de ses propres oeuvres et du display qui les accompagne, sont manipulables. Détachées de leur contexte, elles sont réintroduites dans des constellations où se juxtaposent des régimes technologiques différents. In Low Resolution ne déroge pas à ce protocole. Son point de départ est le film Out of Projection (2009-2014), tourné sur les pistes de l’usine Peugeot à Sochaux, où des retraités de l’usine assistent aux tours d’essai de prototypes expérimentaux. Un papier peint réalisé à partir d’une photographie de la scène transfère ce télescopage des temporalités à la représentation elle-même : des pixels surdimensionnés oblitèrent certaines parties de l’image, à la manière d’un motif « effet futur ». Plus loin, l’un des prototypes, d’une forme ovoïde déjà désuète, est présenté dans un cube en plexiglas, dont le revêtement bleu pèle par endroits. Autre écho, une coquille translucide se révèle être un moulage du toit du véhicule. Sur le principe du collage cher à l’artiste, le film fait l’objet, au Palais de Tokyo, d’une nouvelle présentation : devant lui est suspendu un petit écran sur lequel est montrée une autre vidéo, Undated (2013). Celle-ci, filmée en 16 mm, montre les mains du sculpteur Ivan Kožari, figure clé de l’avantgarde croate des années 1960, en train de manipuler une boule d’aluminium. De l’action, nulle forme ne surgit. Mais la surface de l’image s’anime de glitchs, ces accidents propres à l’image numérique. C’est de là précisément que surgit le sculptural : de la mise en présence anachronique et brutale de deux registres de monstration, qui donne naissance à un surplus de matière. En cela, Undated cristallise le rapport à l’image de David Maljkovic, où le symptôme de la médiation – pixel, ronronnement du projecteur 16 mm, glitch – crée une pellicule opaque devant l’image d’origine. La perturbation se sédimente. Et lui permet de créer des formes et des textures nouvelles, qui échappent au simple remploi des vocables de l’ère numérique. For the first time since the Palais de Tokyo reopened in 2012, its ground floor—dark, baroque and hard to tame— has been given over to the work of a single artist. While the 2014 group show All That Falls (curated by Gérard Wajcman and Marie de Brugerolle) in the same space avoided the problem by dividing it up into enclosed rooms, In Low Resolution, curated by Julien Fronsacq, takes full advantage of the vast open area. Two white plinths are used to make a platform extending between the columns and cutting out a space in the sloping floors. This is quite appropriate, because David Maljkovic likes to play with the mode of exhibition of his work itself. He was born in Croatia in 1973, and his work emerged in the context of the dismantling of Yugoslavia. Nevertheless, he does not deal with the erosion of memory as a problem to be solved by resorting to the archives. On the contrary, he seeks to give a new use value to abandoned monuments. He has extended this principle to the totality of his practice in which the forms, whether historically rooted or produced by his own works and the way they are displayed, can be manipulated. He detaches them from their original context and reinserts them into constellations where different technological regimes are juxtaposed. In Low Resolution strictly follows this protocol. The show starts out with the film Out of Projection (2009-2014), shot at the test tracks of the Peugeot auto factory in Sochaux, in which retired workers from that plant watch tryouts of experimental prototypes. Wallpaper made from a photo of this scene transcribes these interpenetrating temporalities onto the representation itself. Oversized pixels block out various parts of the image, providing a certain futuristic effect. Then visitors come across one of the prototypes, an already oldfashioned ovoid, displayed in a Plexiglas cube whose blue coating is peeling in some spots. A translucent shell turns out to be a mold for casting a roof for the vehicle. In the kind of meta-collage this artist favors, at the Palais de Tokyo this film is displayed in an unusual manner: hanging in front of it is a small screen on which another video is projected, Undated (2013). This 16mm movie shows the hands of the sculptor Ivan Kožarić, a key figure in the 1960s avantgarde in Croatia, handling an aluminum ball. The ball’s shape doesn’t change, but the surface comes alive with glitches, as one might expect with a digital image. The sculptural effect arises from this anachronic and direct confrontation of two representational regimes, giving rise to a surplus of matter. In this sense, Undated crystallizes Maljkovic’s relationship with images, in which symptoms of mediation—pixels, the hum of the 16mm projector, glitches— create an opaque film in front of the original image. This perturbation produces layers. And it makes possible the amazing feat of creating new forms and textures, far beyond the simple updating of terms for the digital age.
Translation, L-S Torgoff