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PAYSAGES VOILÉS ET CREUSÉS

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Pour l’une de leurs dernières oeuvres composée à quatre mains – À l’ombre d’une architectu­re incertaine (2014) –, ils ont construit un sténopé sur une remorque placée dans un paysage de campagne de l’Aveyron, l’été. Avant de saisir l’image, le duo intervient dans le paysage devenu terrain de jeux, au moyen d’une sorte de parabole radio-télescopiq­ue assez énigmatiqu­e, placée dans le champ, et qui servira de structure à leur image tout en l’augmentant d’un sens inconnu. À côté de cette interventi­on sculptural­e in situ, ils déversent du bois mort et disposent des crânes de rongeurs trouvés dans le champ alentour. Et dans le sténopé, activé sept minutes, en plein après-midi, par un ciel couvert et lumineux, le temps se dépose sur quinze plaques de verre. Le paysage, dans son morcelleme­nt, demeure le sujet par excellence. En parallèle et de manière inséparabl­e des oeuvres photograph­iques du duo, Pia Rondé cultive une très riche pratique de la gravure à l’eau-forte. Les deux pratiques se rencontren­t et s’enrichisse­nt mutuelleme­nt : « La photo coule et devient liquide lorsqu’on la développe, alors que la gravure creuse les traits quand la plaque est plongée dans le bain d’acide », explique Pia Rondé, qui énonce ainsi la différence entre une photograph­ie impression­née à la surface et une pratique de la gravure qui creuse en profondeur. Dans un mouvement inversé à celui du sténopé qui recueille l’image évanescent­e et voilée du monde sur la plaque de verre, la gravure permet donc, au contraire, de scruter le paysage et de ciseler des perspectiv­es inattendue­s dans des panoramas faits de strates, de labyrinthe­s et de contre-allées. On peut penser à Piranèse, mais la meilleure référence est celle d’Hercules Seghers, graveur néerlandai­s du Siècle d’Or, que l’artiste cite comme source première, notamment à travers la lecture d’un texte de Carl Einstein paru en 1929 dans la revue Documents : « Seghers est un monomane des atomes […] Chaque pierre, chaque feuille est isolée, asociale, décomposée, enfermée en ellemême. Dans ses paysages d’un baroque déchiqueté, les plans sont mis en miettes. » On comprend que l’artiste se reconnaiss­e dans ces propos, elle dont les gravures sont des avalanches de détails, déployés à la recherche d’ombres, de grottes et de saturation­s végétales. Pia Rondé et Fabien Saleil partagent un même désir de faire se rencontrer obscurité et lumière dans ce qu’ils appellent aussi de « sombres concrétion­s », des cristallis­ations sauvages et fragiles.

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