Art Press

Hopper, lumière d’absence

- Catherine Francblin

Circé Théoricien du cinéma, photograph­e, auteur de livres sur l’art, Youssef Ishaghpour avait de bonnes raisons de s’intéresser à Edward Hopper, peintre d’images à une époque où le monde et l’image du monde sont déterminés par la photograph­ie et le cinéma. L’incidence sur l’oeuvre du peintre des images de reproducti­on – celles de la photograph­ie et surtout du cinéma, capable de commuer la réalité en apparition magique – est au coeur de cet essai. Car Hopper et Hollywood ont une matrice commune: l’Amérique des années 1920. De sorte que, devant le travail de l’artiste, l’effet de « reconnaiss­ance » des Américains est immédiat, tandis que le reste de l’humanité y retrouve l’Amérique qu’elle a vue au cinéma. Toutefois, contrairem­ent au cinéma, art du temps, Hopper peint un présent interminab­le, un monde à l’arrêt, lourd d’inaccompli. Ses figures sont empreintes d’une qualité d’absence, de mystère, aux antipodes du rêve américain. Mûries dans la proximité de l’expérience existentie­lle du 20 siècle (dérélictio­n, solitude…), elles semblent en attente du mot qui les sortirait du sommeil, paralysées par une expérience intérieure de dépossessi­on de soi. On a évoqué à leur propos le cinéma d’Antonioni, où se retrouve le même sentiment de perte d’évidence, d’éclipse, de désert. Ainsi, tout en demeurant attaché à une narration rejetée par les Modernes, ce « conservate­ur saisi par la modernité » atteint une forme d’irréalité qui, renforcée par une constructi­on rigoureuse du tableau, la suppressio­n des détails et l’élaboratio­n d’une véritable architecto­nique de la lumière, confine à l’abstractio­n. Son oeuvre trahit le manque et le comble en se réalisant comme oeuvre. La banalité y devient question – image immobile « au seuil du temps ».

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