Avec Giacometti
Allia « Chaque fois que je pensais à Paris, je pensais à Giacometti », raconte Isaku Yanaihara. Jeune professeur de philosophie venu en France, ce Japonais inaugurera en 1956 une longue série de séances de pose avec l’artiste, qui souhaite dessiner son visage. Des semaines durant, il vient chaque jour dans l’atelier de Giacometti, qui travaille avec acharnement jusqu’au crépuscule, poursuivant sa tâche jusque dans l’obscurité. En naîtront plusieurs dessins et une sculpture. À l’aide des notes prises au jour le jour, Yanaihara composera ce récit poétique, paru au Japon en 1969 : émouvant compte rendu d’une création en marche, nourrie d’un face-àface intransigeant avec le réel. « Peindre est une sorte de guerre, déclare Giacometti. C’est rigoureusement du même ordre, je m’effraie moi-même. » Le sculpteur ne cesse de détruire son ouvrage, de le maudire, de flirter avec la tentation de l’abandon. « La vérité, c’est que le travail ne peut jamais finir », avoue-til. Un mot, celui de courage, revient souvent à ses lèvres. Car la lutte est vive. « Me dévisageant fixement, il marmonna sur le ton de la colère : “Vous me terrorisez”. » Avec ce nouveau portrait, le premier qu’il consacre à quelqu’un qui n’est pas un proche, l’artiste espère faire aboutir trente ans de recherches, et craint sans cesse de manquer d’audace et de persévérance. « C’était presque sa vie qu’il jouait sur ce coup-là », résume Yanaihara. Ce dernier raconte aussi la troublante expérience de modèle. La fatigue physique et ses projets de voyage annulés pour ne pas priver le maître de son matériau. Mais aussi le sentiment d’une exigeante responsabilité vis-à-vis de l’oeuvre à naître. De cette aventure décisive, il sortira transformé. Preuve sans doute qu’un authentique regard n’est jamais sans conséquence.