Éditorial Le travail est de plus en plus dur
The job just gets harder.
Les lecteurs trouveront dans les pages qui suivent (p. 63) une longue interview de Georges-Philippe Vallois, que nous avons rencontré au titre de son expérience propre bien sûr, mais aussi et surtout au titre de président du Comité professionnel des galeries d’art. Le principe de cette interview a été arrêté assez vite, au lendemain de la Fiac, en raison du sentiment étrange éprouvé par les membres de cette rédaction après la visite d’une foire nettement scindée en deux, « uptown » au Grand Palais, chic et parfois bling bling, « downtown » à la Cité de la mode et du design (les Docks), nettement moins bien logée, mais il est vrai aussi plus expérimentale. Ce partage reflète une transformation profonde, non seulement du marché, mais du milieu même de l’art ; nous avons eu envie de faire le point avec quelqu’un qui a assisté à cette mutation de l’intérieur. On va voir que le Grand Palais et les Docks n’ont pas, mais alors pas du tout, reçu le même nombre de visiteurs, et on va constater que, tandis que les queues s’allongent devant la Fiac uptown, on assiste à une désertification des galeries d’art. Est-ce l’information immédiate véhiculée par Internet ? Ou le plaisir de l’art confondu avec l’entertainment ? C’est en tout cas à déplorer car la galerie reste un lieu unique de découverte des jeunes artistes et de relation intime avec les oeuvres, y compris les plus célèbres, car c’est dans l’intimité que l’on se forge un jugement, pas dans le brouhaha événementiel. Pour preuve, des réactions enregistrées lors de l’un des vernissages de l’exposition Jeff Koons au Centre Pompidou. Je m’étonne d’abord de croiser des gens, que je ne pensais pas avoir ce goût, qui m’assurent aimer toute cette confiserie. (Autant pouvait-on attendre quelque chose de Jeff Koons du temps où celui-ci pratiquait la pornographie en compagnie de la Cicciolina, autant il a trahi nos espoirs depuis !) Enfin, je rencontre une personne à l’air désolé, sans doute moins sensible à l’intoxication médiatique, qui m’aborde avec cette remarque : « Comment voulez-vous intéresser le public à l’art contemporain, quand toute la presse lui explique que c’est ça l’art contemporain ? » J’ai commencé à travailler dans les années 1970 quand il fallait batailler dur pour convaincre un public rétif et des institutions conservatrices de l’intérêt de certaines démarches contemporaines. Puis j’ai vécu longtemps persuadée qu’une grande partie du travail avait été accompli et que, en tout cas, on pouvait compter sur des institutions plus éclairées pour aider à leur tour le public à se repérer. Je m’étais trompée, le travail est de plus en plus dur.
Catherine Millet This issue contains a long interview with Georges-Philippe Vallois, drawing on his experience as a gallerist and, above all, as president of France’s professional committee of art galleries. We decided to talk after the FIAC, when a number of our contributors had the strange sensation that the fair was split into a chic and sometimes bling “uptown” section at the Grand Palais and a “downtown” version at the Cité de la Mode et du Design (the Docks), whose quarters were much less comfortable but whose content was more experimental. This division reflects a profound transformation, not only of the market, but of the art world itself, and we wanted to discuss this with someone who has witnessed the change from the inside. Not only was there a huge difference in attendance figures for the Grand Palais and the Docks, but in contrast to the long queues for the uptown FIAC, attendance at art galleries is dwindling. Is it because of the immediacy of the information provided by the internet? Or because art has come to be seen as a category of entertainment? Whatever the cause, the effect is highly regrettable, because the gallery is a unique locus for discovering young artists and engaging with works, even by the most famous artists, in intimate surroundings. It is there, and not in the hubbub of blockbuster shows, that judgments can be formed. Witness the reactions at one of the private views of the Koons show at the Pompidou. I was amazed at all the people I met who, contrary to what I supposed about their tastes, told me they adored all this eye candy. (Koons flattered in the days of his porn works with La Cicciolina only to deceive mightily since). Then I met someonewho looked downcast, who came up and said: “How can you expect to get the public interested in contemporary art when the whole of the press tells them that this is contemporary art?” I started my career in the 1970s when you had to fight hard to convince a reluctant public and conservative institutions of the interest of certain kinds of contemporary work. Afterwards, there was a long period when I thought that the job had been just about done and that we could count on the more enlightened institutions to help guide the public. I was wrong. The job just gets harder.
Catherine Millet Translation, C. Penwarden