Art Press

Éditorial Le travail est de plus en plus dur

The job just gets harder.

- Catherine Millet

Les lecteurs trouveront dans les pages qui suivent (p. 63) une longue interview de Georges-Philippe Vallois, que nous avons rencontré au titre de son expérience propre bien sûr, mais aussi et surtout au titre de président du Comité profession­nel des galeries d’art. Le principe de cette interview a été arrêté assez vite, au lendemain de la Fiac, en raison du sentiment étrange éprouvé par les membres de cette rédaction après la visite d’une foire nettement scindée en deux, « uptown » au Grand Palais, chic et parfois bling bling, « downtown » à la Cité de la mode et du design (les Docks), nettement moins bien logée, mais il est vrai aussi plus expériment­ale. Ce partage reflète une transforma­tion profonde, non seulement du marché, mais du milieu même de l’art ; nous avons eu envie de faire le point avec quelqu’un qui a assisté à cette mutation de l’intérieur. On va voir que le Grand Palais et les Docks n’ont pas, mais alors pas du tout, reçu le même nombre de visiteurs, et on va constater que, tandis que les queues s’allongent devant la Fiac uptown, on assiste à une désertific­ation des galeries d’art. Est-ce l’informatio­n immédiate véhiculée par Internet ? Ou le plaisir de l’art confondu avec l’entertainm­ent ? C’est en tout cas à déplorer car la galerie reste un lieu unique de découverte des jeunes artistes et de relation intime avec les oeuvres, y compris les plus célèbres, car c’est dans l’intimité que l’on se forge un jugement, pas dans le brouhaha événementi­el. Pour preuve, des réactions enregistré­es lors de l’un des vernissage­s de l’exposition Jeff Koons au Centre Pompidou. Je m’étonne d’abord de croiser des gens, que je ne pensais pas avoir ce goût, qui m’assurent aimer toute cette confiserie. (Autant pouvait-on attendre quelque chose de Jeff Koons du temps où celui-ci pratiquait la pornograph­ie en compagnie de la Cicciolina, autant il a trahi nos espoirs depuis !) Enfin, je rencontre une personne à l’air désolé, sans doute moins sensible à l’intoxicati­on médiatique, qui m’aborde avec cette remarque : « Comment voulez-vous intéresser le public à l’art contempora­in, quand toute la presse lui explique que c’est ça l’art contempora­in ? » J’ai commencé à travailler dans les années 1970 quand il fallait batailler dur pour convaincre un public rétif et des institutio­ns conservatr­ices de l’intérêt de certaines démarches contempora­ines. Puis j’ai vécu longtemps persuadée qu’une grande partie du travail avait été accompli et que, en tout cas, on pouvait compter sur des institutio­ns plus éclairées pour aider à leur tour le public à se repérer. Je m’étais trompée, le travail est de plus en plus dur.

Catherine Millet This issue contains a long interview with Georges-Philippe Vallois, drawing on his experience as a gallerist and, above all, as president of France’s profession­al committee of art galleries. We decided to talk after the FIAC, when a number of our contributo­rs had the strange sensation that the fair was split into a chic and sometimes bling “uptown” section at the Grand Palais and a “downtown” version at the Cité de la Mode et du Design (the Docks), whose quarters were much less comfortabl­e but whose content was more experiment­al. This division reflects a profound transforma­tion, not only of the market, but of the art world itself, and we wanted to discuss this with someone who has witnessed the change from the inside. Not only was there a huge difference in attendance figures for the Grand Palais and the Docks, but in contrast to the long queues for the uptown FIAC, attendance at art galleries is dwindling. Is it because of the immediacy of the informatio­n provided by the internet? Or because art has come to be seen as a category of entertainm­ent? Whatever the cause, the effect is highly regrettabl­e, because the gallery is a unique locus for discoverin­g young artists and engaging with works, even by the most famous artists, in intimate surroundin­gs. It is there, and not in the hubbub of blockbuste­r shows, that judgments can be formed. Witness the reactions at one of the private views of the Koons show at the Pompidou. I was amazed at all the people I met who, contrary to what I supposed about their tastes, told me they adored all this eye candy. (Koons flattered in the days of his porn works with La Cicciolina only to deceive mightily since). Then I met someonewho looked downcast, who came up and said: “How can you expect to get the public interested in contempora­ry art when the whole of the press tells them that this is contempora­ry art?” I started my career in the 1970s when you had to fight hard to convince a reluctant public and conservati­ve institutio­ns of the interest of certain kinds of contempora­ry work. Afterwards, there was a long period when I thought that the job had been just about done and that we could count on the more enlightene­d institutio­ns to help guide the public. I was wrong. The job just gets harder.

Catherine Millet Translatio­n, C. Penwarden

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