Londres City Report
Vanina Géré
Les communiqués de presse aiment les premières fois : première exposition personnelle de tel artiste dans telle ville, telle galerie, de telles oeuvres, etc. En cette fin d’année, à Londres, dans le sillage de la Frieze Art Fair cependant, les premières fois se sont révélées suffisamment remarquables pour dépasser le statut de simple argument de vente. À Mayfair et Soho, quartiers à forte concentration de galeries internationales, les Américains étaient très présents. Marian Goodman inaugurait sa galerie londonienne en proposant un vaste panorama de la peinture de Gerhard Richter depuis 2001 (14 octobre-20 décembre). La diversité des travaux rend davantage justice aux peintures que la dernière exposition de Richter dans les quartiers parisiens de Goodman en 2013: le mutisme des monochromes gris sur verre, qui renvoient son image au regardeur, prolongeant les peintures- miroirs des années 1970, répond à la stridence des rayures multicolores des Strips (2012-13), qui paraissent absorber la lumière et l’espace environnant. La galerie Victoria Miro présentait une série somptueuse de portraits d’Alice Neel (14 octobre-19 décembre), tandis que dans ses locaux du quartier d’Islington, était représenté Eric Fischl. Ses nouvelles oeuvres, intitulées Art Fair Paintings, construisent des espaces claustrophobiques où les personnages sont physiquement proches mais ne communiquent pas, où les oeuvres des foires fonctionnent autant comme décor que comme motif, et montrent avec brio que la satire sociale en peinture a toujours son mot à dire. On retrouvait ce potentiel critique de la peinture dans l’exposition des oeuvres récentes de David Hammons au White Cube (Mason’s Yard, 3 octobre-3 janvier 2015) : d’immenses peintures expressionnistes abstraites presque totalement recouvertes de bâches ( Untitled, 2014). Dissimulant le produit de valeur, Hammons n’a pas fini de frustrer les attentes des regardeurs face à l’objet d’art, ou l’objet de l’art. Chez David Zwirner, c’est Kerry James Marshall qui bénéficiait d’une représentation londonienne inédite (11 octobre-22 novembre). Dans la quinzaine de toiles intitulées Look See, qui ne montrent que des personnages noirs, l’autoréférentialité prend une dimension subtilement critique : les codes et les conventions du médium, dans tout son artifice, révèlent l’histoire de l’art en tant que construction établie par des artistes occidentaux et blancs. Tout aussi attachée à la séduction formelle, l’exposition inaugurale de Pierre Huyghe chez Hauser&Wirth, In. Border. Deep (13 septembre-1er novembre) comprenait une sculpture de marbre envahie par la mousse, trois aquariums, une installation in situ et deux films. Le travail de Huyghe sur la place de l’humain à l’échelle géologique s’illustre dans le film De-Extinction (2014), où la caméra donne à voir, à l’échelle microscopique, des insectes pris dans de l’ambre, nous rapprochant ainsi littéralement d’un passé de trente millions d’années. Human Mask (2014) propose, au contraire, un présent flottant et distancié : dans un restaurant abandonné de Fukushima, erre une créature à visage féminin. La confusion des registres et des espaces (humain/ animal, intérieur/extérieur) crée une illusion fantastique. L’hésitation quant à la nature de l’objet vu est d’ailleurs ce qui fait la force des oeuvres présentées, qui souffrent parfois d’un excès d’explication : de même que Human Mask paraît moins poignant une fois que l’on a compris qu’il s’agit d’un singe affublé d’un masque et dressé à servir, la série Nymphéas Transplant (2014) vire à la préciosité une fois que l’on sait que les aquariums contiennent des biotopes importés des jardins de Giverny. Néanmoins, la stratégie de ravissement qu’opère Huyghe pour nous amener à prendre conscience de la responsabilité de l’humain à l’échelle géologique, avec tous les enjeux politiques que cela implique, s’avère dans l’ensemble efficace. Apparition magistrale à Londres, celle de Sigalit Landau à la Marlborough Gallery ( 13 septembre - 8 novembre), avec des photographies de performances près de la mer Morte, des sculptures en marbre à mi-chemin entre les formes organiques de Louise Bourgeois et l’abstraction de Henry Moore, des attrape-rêves et cordes de pendus cristallisés dans le sel, et, surtout, l’admirable vidéo Knafeh (2014), où le spectateur assiste à la confection et à la vente du dessert du même nom. Vu d’en haut, le grand moule rond posé sur une plaque tournante, progressivement rempli de toutes sortes d’ingrédients de couleurs vives, prend l’allure d’un tableau abstrait en mouvement. À mille lieues de l’opticalité moderne, la vidéo nous plonge au coeur du champ social : l’échange, l’abondance puis le vide, dans un contexte sociopolitique catastrophique (l’oeuvre s’achève sur la vue de la flamme de la gazinière qui brûle, tandis que l’on entend des sirènes de polices), où le knafeh, aujourd’hui revendiqué à la fois du côté israélien et du côté arabe, et qui pour l’artiste avait représenté un moment de convivialité dans le quartier arabe de Jérusalem, devient le symbole d’un partage perdu. Menaçante et somptueuse, l’exposition situe Sigalit Landau comme l’une des meilleures artistes engagées. Autre exposition alliant beauté formelle et engagement, la présentation chez Thomas Dane (14 octobre-15 novembre) d’une vidéo de Steve McQueen, Ashes (2014) : dédiée à la disparition prématurée d’un jeune homme lié au trafic de drogue en Jamaïque, Ashes constitue à la fois un hommage sensuel à la vie et un rappel que nous ne sommes pas tous égaux face à la mort. Moins homogène, l’Est londonien réservait néanmoins des surprises, comme l’exposition d’Amanda RossHo ( Who Buries Who, 15 octobre14 décembre), artiste installée aux États-Unis, dans la petite galerie The Approach, située au-dessus d’un pub. Ou encore celle de Yuri Pattison, Free Traveller, au Cell Project Space ( 17 septembre-2 novembre), espace prometteur, où une installation de vidéos et de sculptures dialoguait avec un site Web actif le temps de l’exposition.