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Le feuilleton de Jacques Henric. François Villon

Le feuilleton

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François Villon OEuvres complètes Gallimard, « La Pléiade »

S’il fallait, une fois de plus, montrer que l’autofictio­n n’est pas née des dernières pluies de la critique littéraire, un bon retour en arrière y suffirait. Quelque six siècles, ça vous va ? Milieu du 15e, naît un « Franciscus de Moultcorbi­er », autrement nommé « franciscus de montcorbie­r, licencié et maître es arts en 1452 », ou ailleurs Moult Corbier, ou encore Monterbier, ou plutôt Michel Mouton, comme ledit Franciscus se fait appeler le jour où il a des ennuis avec la police et la justice, ou encore « François des Loges, autrement dit François Villon » quand il occit un prêtre lors d’une rixe. La postérité retiendra le dernier patronyme, celui qui apparaît dans son oeuvre, l’ouvrant et la fermant, et qui la signe. « Icy se clost le testament / Et finit du povre Villon / Venez à son enterremen­t / Quand vous entendrez le carillon. » Le jeu avec les patronymes indique d’entrée la distance mise entre le « je » du narrateur et le « je » de l’auteur, un des thèmes de théorie littéraire qui fera les beaux jours de la critique universita­ire de la fin des années 1970 à aujourd’hui. Distance confirmée par le peu de renseignem­ents que nous avons sur la vie de Villon et qui contraint les biographes à proposer beaucoup d’hypothèses et à rêver une vie à partir de ce qu’en confie le poète dans ses écrits, notamment dans le Lais et le Testament. Jacqueline Cerquiglin­i-Toulet, dans sa substantie­lle préface, rappelle l es quelques événements de la biographie de Villon qui sont attestés par des documents, à savoir le meurtre du prêtre Philippe Sermoise, le cambriolag­e du collège de Navarre, la condamnati­on à être « pendu et estranglé » puis la commutatio­n de la peine en bannisseme­nt de dix ans « de la ville, prevosté et viconté de Paris ». Un mauvais garçon, ce Villon ? C’est le moins qu’on puisse dire. Il a fait autrement plus fort qu’un Jean Genet qui lui est immanquabl­ement comparé. Un de ses programmes : « Tout aux tavernes et aux filles ». D’où le très chrétien repentir de celui qui fréquenta tavernes et bordels et copina avec les bandes de voyous de l’époque qu’on appelait les coquillard­s : « Je suis pecheur, je le sçay bien. » Et, dans la Ballade de la belle Heaumière, de manifester sa compassion pour les putains méprisées par la bonne société médiévale, celle même, civile et religieuse, qui le condamna, et de leur exprimer sa reconnaiss­ance. « Honnestes si furent vrayment, / Sans avoir reprouches ni blasmes. » Répondant par avance aux romantique­s et à leurs tirades sur l’amourpassi­on, devançant les termes d’un vieux débat relancé récemment par le philosophe Ruwen Ogien sur les liens entre amour et sexe, il poursuit son éloge des femmes qui « rondement ayment tout gent » en affirmant, son expérience aidant, que : « Folles amours font l es gens bestes : Salmon en y ydolatria, / Sanson en perdit ses lunectes. » On apprend dans le Lais que c’est une trahison amoureuse qui aurait vacciné à jamais le jeune François contre les maux de l’amour et les affres de la jalousie, et qui de plus le protégea des gouffres de la bêtise où sombre, à l’instar des figures bibliques de Salomon et Samson, tout « amant martir ».

TRADUCTION-TRAHISON

« La poésie de Villon est faite pour être dite, enregistré­e par la mémoire et le corps » , écrit sa traductric­e en français moderne. On ne peut mieux dire. Elle note par ailleurs que Villon appelait son Testament un « dit », pas un livre. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de citer les vers dans leur langue originelle. Leur traduction, du moins telle qu’elle se présente dans cette édition de La Pléiade, est problémati­que. Qu’une traduction soit justifiée, c’est incontesta­ble. La difficulté de lecture de certains vers l’impose, encore que j’aie sous les yeux une publicatio­n des OEuvres datant de 1961 ne proposant que le texte originel, sans traduction, mais pour lequel l’éditeur, soucieux de pallier « la patine du temps et le vieillisse­ment de certains mots », ne s’était contenté, pour garder le rythme du vers, que d’adopter une orthograph­e régularisé­e, tout en respectant la syntaxe. Un glossaire à la fin du livre donnant le sens de mots vieillis ou disparus lui parut suffisant. Prenons deux traduction­s des premiers vers de l’Épitaphe Villon, dite autrement la Ballade des pendus. Texte de Villon : « Frères humains qui aprés nous vivez, / N’ayez les cueurs contre nous endurciz, / Car se pitié de nous povres avez, / Dieu en aura plus tost de vous merciz. » Le sens est clair. L’édition de 1961 reprend ces vers en ne modifiant que l’orthograph­e de endurciz et merciz, remplaçant le z par un s. Traduction dans l e volume de l a Pléiade : « Frères humains qui après nous vivez / N’ayez pas contre nous le coeur endurci / Car si vous avez pitié de nous, pauvres, / Dieu vous accordera plus rapidement sa grâce. » Lu à haute voix, que reste-t-il de la langue de Villon, du rythme du vers, de sa musique ? Je pourrais multiplier les exemples. Dans une Ballade : « Prince, a mort sont tous destinez / Et tous autres qui sont vivants. » Le sens est limpide, pourquoi traduire si lourdement par : « Prince tous sont destinés à mourir / Comme tous les autres qui sont encore en vie ». Plus loin, le beau vers « Sy m’eust dit que je le baisasse » devient cette platitude : « S’il m’avait dit de l’embrasser. » Pourquoi, ailleurs, remplacer « torcher » (Villon parle cru, il parle pets, cul, couilles, pissat) par « essuyer » ? Bien sûr, on peut toujours se reporter au texte de Villon, mais l’avoir sur la page de droite avec, en regard, sa traduction sur la page de gauche, celle-ci étant composée dans la même typo, même police et même dimension de caractères, a pour effet, comme nous ne sommes pas japonais, qu’inévitable­ment nous commençons par lire la traduction avant de nous reporter au texte originel. L’inverse s’imposait, avec un autre statut donné à la traduction (caractères plus petits et notes en bas de page, par exemple). Il est à craindre que soumis au tropisme de la page de gauche, parvenu au terme de sa lecture, le lecteur n’ait rien lu d’un grand poète nommé Villon.

VOLUPTÉ ICI-BAS

L’oeuvre étant courte, sont proposés en fin de volume des documents d’archives suivis, comme il fut fait pour le Pléiade Lautréamon­t, par des « lectures de François Villon », lesquelles vont de Clément Marot à Pierre Michon. Parmi elles, deux très belles, celles d’André Suarès et de Blaise Cendrars. Suarès : « Il considère la nullité universell­e avec une sérénité mêlée de terreur […] Villon conclut à la mort comme la réalité unique, et à la volupté, icibas, comme paradis. » Cendrars : « Ô stupide 19e siècle et triste et lamentable mentalité des cuistres et des Sorbonnâtr­es ! Hélas ! j’ai lu tous leurs livres ! Qu’ont-ils fait du pauvre écolier ? […] Non, permettezm­oi de rire et de préférer, au nom de la poésie, Byzance et les Pères de l’Église. »

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François Villon

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