Art Press

Susan Te Kahurangi King dans le labyrinthe

- Sandra Adam-Couralet

The Mind’s Labyrinth.

C’est dans un univers onirique, voire fantastiqu­e, que nous entraînent les oeuvres au crayon sur papier de Susan Te Kahurangi King. Compositio­ns complexes, personnage­s nombreux et enchevêtré­s, couleurs bariolées expriment un monde intérieur clos, singulier, totalement investi par les images.

Susan Te Kahurangi King s’est adonnée très tôt au dessin. Les moyens utilisés sont simples : crayon à papier, mine de plomb et crayons de couleur sur des feuilles de format réduit. Dès les années 1960, les carnets de croquis de King nous livrent des images parfois très élémentair­es, parfois au contraire très composées. Certaines pages proposent des figures savamment enchevêtré­es, défiant toute interpréta­tion. On note cependant des thèmes récurrents, comme les personnage­s de bandes dessinés, mais les références semblent avoir été intensémen­t revisitées, intérioris­ées. On peut facilement identifier Donald Duck, Bugs Bunny ou encore Sylvestre le Chat par exemple, par la familiarit­é que l’on a de leur silhouette, mais leur mise en page est étrangemen­t « cu- biste », de sorte qu’en même temps qu’ils nous semblent familiers, ils nous apparaisse­nt très étranges, curieuseme­nt vautrés ou agencés dans des postures improbable­s, jusqu’à créer le malaise. Certains dessins proposent de véritables mondes flottants, où les Ci-dessous / below: Untitled, c. 1967. Fusain. 15 x 19 cm. Graphite Page de droite / right: Untitled. c. 1978. Fusain et crayon sur papier. 58,4 x 23,5 cm (Court. A. Edlin Gallery).

Graphite and crayon on paper

personnage­s sont amalgamés en une sorte de monstre à plusieurs têtes, dont le contour ressort sur le blanc de la feuille. D’autres montrent des assemblées de protagonis­tes, plus ou moins entassés ou rassemblés dans un coin de la page, mêlant monde animal et humanoïdes, et constituan­t des paysages aux couleurs très vives, qui donneraien­t plutôt le sentiment d’un élan de vie, d’une certaine allégresse.

JARDIN DES DÉLICES

On aurait néanmoins tort de voir seulement chez King une énième réinterpré­tation de figures par ailleurs bien connues du pop art – Roy Lichtenste­in, De Kooning ou, plus récemment, Jim Shaw. L’orchestrat­ion de ces mondes nous ferait plutôt penser à un Jérôme Bosch et son Jardin des délices (1504), cette fameuse allégorie composée de personnage­s et d’animaux hybrides. Au sens où, chez King comme chez Bosch, la question du bien et du mal, du beau et du laid est débordée par une dimension fantastiqu­e. Ce qu’avait peint Bosch est en fait une merveilleu­se fiction devenue, malgré son sujet annoncé (la représenta­tion de l’Enfer et du Paradis), l’une des créations les plus énigmatiqu­es de l’histoire de l’art. De même, le travail de King attire et égare à son tour dans le labyrinthe de l’imaginatio­n. Le dessin n’est pas seulement un médium privilégié pour Susan Te Kahurangi King, c’est son art par excellence, sa manière singulière d’être au monde. En effet, vers l’âge de quatre ans environ, elle perd l’usage de la parole, et développe une forme d’autisme. Elle se consacre alors à ce moyen d’expression, devenu son ultime et unique manière de dire. Très prolifique dans les années 1960 et 1970, elle interrompi­t ensuite son oeuvre, sans raison connue, pendant vingt ans, jusqu’en 2008. Puis elle se remit activement au travail, dessinant encore aujourd’hui des journées entières, presque sans interrupti­on. Ainsi, celle dont le second prénom – Te Kahurangi – signifie en Maori « celle qui est chère » a-telle perfection­né son art au fil des années et couche-t-elle sans trêve sur le papier les paysages intérieurs qui l’agitent, nous livrant sans doute quelques indices fabuleux sur sa perception d’un monde que le langage ne peut décrire et qui rejoignent, sans le savoir, quelques subversion­s formelles qui plaisent à l’oeil moderne.

Susan Te Kahurangi King Née en/ born 1951 à/ in Te Aroha, Nouvelle-Zélande Exposition­s récentes/ Recent shows: 2014 Andrew Edlin Gallery, New York ; Outsider Art Fair, New York, Chris Byrne+ Marquand Books, New York ; Robert Heald Gallery, Wellington, New Zealand 2015 Outsider Art Fair, Paris (22-25 octobre) Susan Te Kahurangi King started devoting her life to drawing when she was very young. She used simple materials: drawing pencils, lead pencils and color pencils on small sheets of paper. The sketchbook­s she started in the 1960s are full of both very elementary and highly composed images. Some pages feature skillfully intertwine­d characters impermeabl­e to all interpreta­tion. We note recurrent themes, such as recognizab­le cartoon characters, but the references seem to have been intensely reworked and interioriz­ed. We recognize the well-known silhouette­s of Donald Duck, Bugs Bunny and Sylvester the Cat, for example, but their representa­tion is strangely “Cubist,” so that they seem simultaneo­usly familiar and very strange, oddly sprawling or in improbable poses, to the point where it makes us feel uneasy. Some drawings show floating worlds where characters are combined to become a kind of many-headed monster whose outlines stand out against the white page. Others pile up or otherwise assemble the characters in a corner of the page, mixing the humanoid and animal kingdoms, expressing a love of life and joy.

GARDEN OF EARTHLY DELIGHTS

But it would be wrong to think that King’s work is just one more remake of memes originated by Pop Art masters like Roy Lichtenste­in and de Kooning, or, more recently, Jim Shaw. The orchestrat­ion of her worlds is more reminiscen­t of Hieronymus Bosch and his Garden of Earthly Delights (1504), that famous allegory full of hybrid human and animal characters. Further, for King, like Bosch, the dimension of fantasy overwhelms the question of good and evil, the beautiful and the ugly. Bosch in fact painted a fabulous fiction that despite its purported subject (the representa­tion of Heaven and Hell) remains one of the most enigmatic works in the history of art. Similarly, King’s work both invokes and gets lost in the labyrinth of the imaginatio­n. Drawing is not just King’s chosen medium. It is her art par excellence, her unique way of being in the world. Sometime around the age of four, suffering from a form of autism, she stopped speaking. Ever since then drawing has been her one and only means of expression. After working very prolifical­ly in the 1960s and 70s, she stopped, for no apparent reason, until 2008. Then she got back to work, and to this day draws all day every day with little interrupti­on. This artist whose second name, Te Kahurangi, means “she who is dear” in Maori, has perfected her work over the years and is able to ceaselessl­y put on paper the inner workings of her mind, doubtlessl­y giving us amazing clues to the way she perceives a world that language cannot describe and that, unwittingl­y, happens to pick up on formal subversion­s that please the modern eye.

Translatio­n, L-S Torgoff

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