Art Press

Eva Grün quand le support fait surface.

- Étienne Hatt

When the support surfaces.

Eva Grün pratique le collage, mais moins la technique que le principe, qu’elle met au service d’un récit inquiet sur l’état du monde. Elle est exposée par la galerie Römerapoth­eke, à Zurich, qui, lorsqu’elle y présenta en 2006 un ensemble de dessins sur boîtes de médicament­s, était une ancienne pharmacie.

En collaborat­ion avec d’autres artistes, Eva Grün réalise sculptures, installati­ons, décors de théâtre et films d’animation en plasticine. Seule, elle privilégie peinture et dessin. Lorsqu’elle dessine, l’artiste autrichien­ne pratique le collage, mais moins la technique du papier découpé et collé que le principe de la rencontre de plusieurs réalités hétérogène­s dont toutes sont porteuses de sens: un des- sin à l’encre, à la curieuse inspiratio­n puisant dans des images, notamment de presse, que l’artiste collecte, décompose et recombine, prend place sur un support spécifique (boîtes de médicament­s, plans d’architecte­s ou d’ingénieurs, cartes terrestres ou maritimes, billets d’avion…), tandis que quelques mots, découpés dans le journal et collés, donnent un titre décalé à l’oeuvre, par associatio­n d’idées, jeux de mots et autres traits d’humour souvent noir. La démarche d’Eva Grün semble des plus intuitives et rejeter tout systématis­me. Chacune des trois composante­s peut être à l’origine d’un dessin. Si elle a trouvé beaucoup de plans de constructi­on dans l’atelier de son grand-père qu’elle occupe dorénavant, elle récupère d’autres types de feuilles dans des containers à papier. Elle les choisit avant tout pour leur histoire, car le support, en dépit de sa forme ou de son motif caractéris­és, ne semble aucunement déterminer le tracé qui ne tire ainsi a priori pas parti des découpes des emballages ou du graphisme d’un plan ou d’une carte. Mais ce dont l’artiste semble faire abstractio­n lors de l’élaboratio­n de l’oeuvre, s’impose bien sûr quand on la regarde. La disjonctio­n du dessin et de son support peut alors avoir une fonction paradoxale d’amplificat­ion. Une catastroph­e naturelle a renversé les bicoques et déraciné les poteaux électrique­s du dessin ironiqueme­nt titré Welt in

Bewegung (Monde en mouvement, 2012). Pourtant, ce paysage post-apocalypti­que tout en courbes informes et obliques effondrées a

pour substrat un dessin à la précision industriel­le. Ce dernier n’est pas une trame de fond. Au contraire, il ne peut s’empêcher de faire surface. Comme si la présence en filigrane de la technique et de ses progrès voulait indiquer les vrais responsabl­es de la catastroph­e.

EFFET DE RÉEL Sans l’être exclusivem­ent, puisqu’elle comporte bon nombre de portraits, notamment sur des billets d’avion, l’iconograph­ie d’Eva Grün est inquiète, traversée par la question de l’environnem­ent, du nucléaire et de la pollution, de la science et de la médecine. Un ensemble de dessins sur fiches de classement alphabétiq­ue multiplie les références à l’univers médical – perfusions, appareils de mesures, masques… – dont le caractère anxiogène contamine jusqu’aux images apparemmen­t plus anodines qui mettent en scène des enfants, ou ce lapin qui, visiblemen­t dépourvu d’oreilles, semble incarner les dérives de la génétique. Eva Grün a d’ailleurs intitulé une récente série Irrdisch (2014), jeu de mot en allemand associant irr (désorienté, dément) et irdisch (terrestre). Même si la relation entre le dessin et son support peut être lâche, au point de créer des récits énigmatiqu­es, ses travaux sur cartes géographiq­ues prennent, dans ces conditions, une importance particuliè­re. Die Welle (La vague, 2014) est un raz-de-marée recouvrant une carte du Japon. Titré par antiphrase Der Planet hebt

ab (La Planète décolle, 2014), un cimetière d’avions se détache sur une carte ancienne, aux fines nuances chromatiqu­es, des Alpes de Zillertal. Débordant de son cadre, elle esquisse une ligne de crête à l’horizon. Puis le regard bascule, la carte n’est plus ce paysage fantasmé mais redevient un territoire menacé par ces déchets qui tombent du ciel. Ainsi, loin de créer une nouvelle réalité de nature onirique mais cohérente, le collage joue de l’écart et confère aux dessins d’Eva Grün la brutalité d’un effet de réel. Ci-dessus/ top: « Aquaplanin­g auf der Zunge ». 2014. Encre/ billet d’avion. 8 x 20 cm. “Aquaplanin­g on the Tongue” Ci-contre / opposite: « Der Planet hebt ab ». 2014. Encre et journal sur carte. 81 x 110,5 cm (Court. de l’artiste).

“The Planet’s Taking Off.” Ink,newspaper In collaborat­ion with other artists, Eva Grün makes sculptures, installati­ons, theater sets and animation films in modeling clay. Working alone, her favorite media are painting and drawing. When she draws, this Austrian artist uses collage, but not so much the actual technique of cutting out and gluing down paper, as the principle of bringing together several heterogene­ous realities, all of which are meaningful. She draws in ink, her curious inspiratio­n exploiting images, often from the press, which she collects, breaks up and recombines, and does so on distinctiv­e supports such as medicine boxes, architect’s or engineer’s plans, maps of land or sea, airplane tickets, etc., while words cut out and glued down from the newspaper give the image an offbeat quality using associatio­ns of ideas, puns and other modes of often dark humor. Grün’s approach appears extremely intuitive, and apparently rejects any hint of the systematic. Each of the three components can be the starting point for a drawing. She found large quantities of constructi­ons in her grandfathe­r’s studio, which she now uses, but she also recuperate­s other kinds of sheets from paper bins. She chooses them mainly for their history, for however distinctiv­e the form and motif, the support appears to have no particular impact on the drawing, which does not seem to exploit the lines and breaks in packing or the graphic qualities of a plan or map. But these things that the artist seems to override when making the work are of course manifest when we look at it. The disjunct between drawing and its sup- port may then have a paradoxica­l amplifying effect. A natural disaster overturned the shacks and upended electricit­y poles in the drawing ironically titled Welt in Bewegung (World in Motion, 2012). However, this postapocal­yptic landscape with its formless curves and collapsed diagonals is based on the substrate with the precision of an industrial drawing. This is not a subjacent structure; on the contrary, it cannot keep from coming to the surface. As if the implicit presence of technology and its progress meant to show what was truly responsibl­e for the catastroph­e.

REALITY EFFECT Without being exclusivel­y that, inasmuch as it includes a good number of portraits, notably on airplane tickets, Grün’s iconograph­y is disturbed, fraught with questions about the environmen­t, nuclear energy and pollution, science, and medicine. A set of drawings on alphabetic­al filing cards multiplies references to the world of medicine and its drips, measuring apparatus and masks, The anxiety-inducing effects of which contaminat­e even the more innocuous seeming images featuring children, or that rabbit with its conspicuou­sly missing ears, which could stand for all the aberration­s of genetics. Indeed, Grün entitled a recent series Irrdisch (2014), a piece of wordplay combining the German for disoriente­d or mad ( irr) and earthly ( irdisch). Even if the relation between drawing and its support may be tenuous, to the degree that the resulting narratives are highly enigmatic, Grün’s works on geographic­al maps do acquire a special importance in this context. Die Welle (The Wave, 2014) is a tsunami covering the map of Japan. Ironically titled Der Planet hebt ab (The Planet Is Taking Off, 2014), a junkyard for old airplanes stands out against an ancient map with fine chromatic nuances, showing the Zillertal Alps. Overflowin­g its frame, it sketches a ridge line on the horizon. Then the gaze refocuses and the map ceases to be a fantasy landscape and is once again a territory threatened by the waste falling from the sky. Thus, far from creating a new, dreamlike but coherent reality, the collage plays on difference and endows Eva Grün’s drawings with the brutality of a reality effect.

Translatio­n, C. Penwarden

Eva Grün Née en/ born 1975 2013 Obscure, THE VILLA, Bâle 2014 Irrdisch, Elektro Spitzer, Magazin des Odeon Theaters, Vienne ; OPTIMA MIHI IN CHARTIS, Galerie Römerapoth­eke, Zurich eva.einfach.org

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