LE FRESNOY
Sebastián Díaz Morales
Studio national des arts contemporains / 14 février - 26 avril 2015
Si l’oeuvre de Sebastián Díaz Morales a été assez tôt exposée en France, elle est depuis restée trop discrète. Son importance s’impose à la visite de Ficcionario, exposition qui le place aux côtés d’artistes de sa génération comme David Claerbout, mais aussi dans l’héritage des pionniers Thierry Kuntzel, Michael Snow ou Bill Viola. S. Díaz Morales fait partie de ces rares artistes qui se concentrent sur la vidéo, associant à la construction des images un questionnement du médium et des mécanismes de vision. Dans Ficcionario, la scénographie articule précisément les oeuvres à travers des espaces courbes qui donnent une impression de vaste installation. De manière très organique, les images s'appellent et partagent un lieu commun, des couleurs et des obsessions : la figure du labyrinthe, des mouvements de quête et de poursuite où se croisent les échos de Borges et de Cortázar. Inside (2012), qui ouvre le parcours, renverse ainsi le point de vue sur l'image en nous montrant une équipe de tournage en action. La construction se révèle lorsque le miroir se brise dans un déploiement de lumière cisaillée. L’abstraction qui s'en dégage, issue d'un ralenti et d'une très grande qualité d’image, renvoie le spectateur à la nature de son expérience perceptive. Nombreuses sont les vidéos qui prennent leur source dans les retours de l’artiste dans son pays natal, l’Argentine. Il filme les paysages grandioses de Patagonie où il a grandi, mais aussi les réalités de la crise économique. Ainsi dans Lucharemos hasta anular la ley (2004), il construit une vision poétisée des manifestations à travers de filtres traitant le réel comme un dessin, nous mettant enfin dans la capacité de voir ces images que les médias ne nous laissent plus la possibilité d'interroger. L’installation Ring, the means of illusion (2007) reprend le même principe, en utilisant cette fois des images d’un match de boxe. À distance des chocs de couleur et des effets de réel, le traitement graphique épouse les mouvements des corps et souligne la force des regards, renvoyant le spectateur vers sa fascination pour la violence des images. Pasajes I et II (2012-2013) sont deux bandes plus discrètes qui nous amènent dans le dédale de Buenos Aires, où un jeune homme ne cesse de gravir des escaliers dans l’un, et d’ouvrir des portes dans l’autre. Filmées avec une carte de la ville comme script, les relations entre cet homme qui marche et un urbanisme qui a fasciné tant d’écrivains pour ses strates, ses replis cachés et ses passages surprenants sont une métaphore de l'humain que l'artiste ne cesse de représenter : poursuivi par le passé, chutant vers l'avenir, le présent est un état de suspension. Suspension est le titre de la dernière installation de S. Díaz Morales, où un homme vole/ chute à la manière de l’ange de l’histoire décrit par Walter Benjamin. Mais ce spectacle très symbolique dévoile aussi ses secrets de tournage, tandis que le spectateur est invité à habiter l’installation en gravissant la structure, saisissant alors l'ensemble de l'exposition. Face au monde et à ses images, la mobilité des corps et des regards sont des outils précieux pour combattre la tempête de l’histoire.
Mathilde Roman S. Díaz Morales expose régulièrement à la galerie Catherine Bastide, à Bruxelles. De haut en bas / from top: « Insight ». 2012; « Suspension ». 2014 Vues de l’exposition « Ficcionario », Le Fresnoy / Exhibition views While Sebastián Díaz Morales ‘s work was shown early on in France, it hasn’t been properly taken note of. Its importance is obvious for anyone who visits Ficcionario, an exhibition that places him beside artists of his generation such as David Claerbout as well as pioneers like Thierry Kuntzel, Michael Snow and Bill Viola. Díaz Morales is one of those rare artists who do videos almost exclusively, combining the construction of images with a questioning of the medium and its mechanisms. The display layout for Ficcionario precisely arranges the videos in curved spaces, producing the impression that the show is one big installation. The images respond to one another in an organic manner, sharing a space, colors and obsessions: the figure of the labyrinth, a search and pursuit where echoes of Borges and Cortázar resonate with each other. Inside (2012), the first piece visitors come across, gives us a reverse shot from the image out, so to speak, showing us a film crew at work. The fiction breaks down when a mirror shat-
ters into shards of sparking light. The resulting abstraction, produced by slo-mo and very high quality footage, reminds viewers of the nature of their perceptual experience. Many of these videos are inspired by this artist’s return to his roots in Argentina. He filmed the magnificent landscapes of Patagonia, where he grew up, and the urban realities of the country’s economic
crisis. For example, in Lucharemos hasta anular la ley (2004), he constructs a poetic vision of street protests by using filters that turn reality into a drawing, finally allowing us to see images that we can no longer interrogate when broadcast by the media. The installation Ring, the Means of Illusion (2007) follows the same principle, this time using footage of a boxing match. Distancing itself from the exchange of blows, the colors and the effect of reality, the graphic treatment emphasizes the movements of the bodies and the power of the gaze, thus forcing viewers to consider their own fascination with the violence of the images. Pasajes I & II (2012–13) are two more discreet digital videos that take us through the maze of Buenos Aires. In the first, a young man endlessly climbs steps, while in the other he endlessly opens doors. Filmed with a city map as its script, the relationships between this walking man and a city whose stratifications, hiding places and surprising arcades have fascinated so many writers become a metaphor for the human condition that this artist never tires of representing. Pursued by the past, falling into the future, the present is in a state of suspension. Suspension is the title of the last Díaz Morales video in this show. It shows a man falling/flying like Walter Benjamin’s Angel of History. But this symbolic spectacle also reveals the secrets of its own making while visitors climb up the stairs of the structure until they can see the whole exhibition. Faced with the world and its images, the mobility of bodies and gazes are vital tools to fight the storm of history.
Translation, L-S Torgoff Sebastián Díaz Morales exhibits regularly at the Catherine Bastide gallery in Brussels.