Damien Malige Le Pouvoir absolu Gallimard
« Ce n’est pas directement, en niant, que nous émergeons, c’est en décomposant, suivant les lignes d’angoisse, les multiples parties de notre élément. » De Louis-Ferdinand Céline à Georges Bataille, en passant par Sade, Lautréamont ou Dostoïevski, tout un pan de la littérature moderne se sera construit sur cet axiome, formulé par Bataille en marge de l’Impossible, en vertu duquel l’écriture est une expérience vitale, qui s’attache à décomposer le réel suivant les lignes d’affects du sujet. Écriture en prise directe sur le magma des émotions ; mise à nu du monde dans l’expérience sensible qu’en fait le sujet ; matérialisme affectif en riposte aux suggestions idéalisantes et autres effets d’accommodement; parti pris du grand dissolvant de la dérision plutôt que de l’édifiante ironie ou du stupéfiant image : c’est dans cette veine qu’on avait d’emblée situé Damien Malige à la lecture de son premier roman, Province terminale, paru en 2012. Il en va de même de son nouvel opus, le Pouvoir absolu. D’un livre à l’autre, c’est la même traversée de l’impossible présence humaine au monde qui se poursuit. Le guide est ici un narrateur « amphibien d’un écosystème fragile et hybride », qui « oscille entre le monde réel, celui dont la limite est d’honorer la vie dans ce qu’elle a de plus visible, également de plus superficiel et vain, et le monde intérieur, celui de l’écriture, celui qui flirte avec l’infini ». Toute la puissance de déflagration du livre tient dans ce va-et-vient, qui nous conduit d’un club privé dédié aux pratiques scatologiques hardcore à des manifestations artistiques en hôpital psychiatrique, en une spirale noire qui orchestre la dépense des corps sur fond d’exténuation du langage – et abrite en son coeur la mort qui égalise tout.