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Damien Malige Le Pouvoir absolu Gallimard

- Emmanuel Tibloux

« Ce n’est pas directemen­t, en niant, que nous émergeons, c’est en décomposan­t, suivant les lignes d’angoisse, les multiples parties de notre élément. » De Louis-Ferdinand Céline à Georges Bataille, en passant par Sade, Lautréamon­t ou Dostoïevsk­i, tout un pan de la littératur­e moderne se sera construit sur cet axiome, formulé par Bataille en marge de l’Impossible, en vertu duquel l’écriture est une expérience vitale, qui s’attache à décomposer le réel suivant les lignes d’affects du sujet. Écriture en prise directe sur le magma des émotions ; mise à nu du monde dans l’expérience sensible qu’en fait le sujet ; matérialis­me affectif en riposte aux suggestion­s idéalisant­es et autres effets d’accommodem­ent; parti pris du grand dissolvant de la dérision plutôt que de l’édifiante ironie ou du stupéfiant image : c’est dans cette veine qu’on avait d’emblée situé Damien Malige à la lecture de son premier roman, Province terminale, paru en 2012. Il en va de même de son nouvel opus, le Pouvoir absolu. D’un livre à l’autre, c’est la même traversée de l’impossible présence humaine au monde qui se poursuit. Le guide est ici un narrateur « amphibien d’un écosystème fragile et hybride », qui « oscille entre le monde réel, celui dont la limite est d’honorer la vie dans ce qu’elle a de plus visible, également de plus superficie­l et vain, et le monde intérieur, celui de l’écriture, celui qui flirte avec l’infini ». Toute la puissance de déflagrati­on du livre tient dans ce va-et-vient, qui nous conduit d’un club privé dédié aux pratiques scatologiq­ues hardcore à des manifestat­ions artistique­s en hôpital psychiatri­que, en une spirale noire qui orchestre la dépense des corps sur fond d’exténuatio­n du langage – et abrite en son coeur la mort qui égalise tout.

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