Hervé Télémaque
Centre Pompidou / 25 février - 18 mai 2015 Alors que plusieurs de ses oeuvres étaient accrochées cet hiver dans l’exposition Haïti du Grand Palais, où l’un de ses tableaux était mis en dialogue avec des peintures de JeanMichel Basquiat, la rétrospective d’Hervé Télémaque au Centre Pompidou éclaire à point nommé l’ensemble de son travail. Elle a le mérite de la concision et de la clarté, tout en conservant à l’oeuvre sa poésie, sa retenue, et son caractère sibyllin. La peinture de Télémaque est en effet habitée de références autobiographiques souvent nécessaires à la compréhension des oeuvres, mais dont l’élucidation systématique produirait un inutile aplatissement. Après une jeunesse haïtienne, c’est d’abord aux États-Unis qu’il s’installe. Bien qu’il souffre du racisme ambiant, il est alors fortement inspiré par l’expressionnisme abstrait, par Arshile Gorky en particulier, à qui il rend hommage à la fin de l’exposition, dans son dernier tableau en date, le Moine comblé – lequel est aussi coloré et joyeux qu’est désespéré le Black Monk réalisé par Gorky juste avant son suicide. Vient ensuite l’époque parisienne de la Figuration narrative, dont Télémaque est l’un des principaux protagonistes. Son vocabulaire formel et les grands thèmes qui traversent son oeuvre se mettent en place : discours sur le colonialisme, gaine féminine qui rappelle la Mariée de Marcel Duchamp, accessoires de sport, références à la société de consommation, autoportraits, personnages de comics américains… À propos des confrontations d’images qui habitent ses tableaux comme ses premières combine paintings, il parle d’ « allumage visuel ». Mai 68 est pour lui – et pour de nombreux artistes de la même génération – l’occasion d’un retrait de la vie artistique. Ayant arrêté la peinture, il réalise des sculptures poétiques avec des matériaux pauvres : le Large. Plusieurs d’entre elles sont exceptionnellement rassemblées dans l’exposition. L’importance du trait s’affirme au cours des années qui suivent sous l’influence de la ligne claire d’Hergé – il n’est pas un hasard que l’exposition se tienne dans les salles du cabinet d’arts graphique. Son oeuvre est un dialogue permanent avec l’histoire de l’art du 20e siècle : Duchamp, Magritte, Picasso et Matisse sont ses interlocuteurs. Dans les années 1980, alors que ses tableaux de plus en plus hermétiques reprennent avec des variations sa pratique antérieure, il développe une remarquable technique de marqueterie de papiers découpés, collés, et poncés par endroits, puis placés dans des boîtes, accompagnés parfois des objets avec lesquels l’oeuvre a été réalisée. Il y a dans cette série des maisons traditionnelles berrichonnes mais aussi une selle très matissienne qui, outre sa dimension érotique, renvoie aux esprits du vaudou – un possédé est considéré comme « monté » par un esprit. Réagissant à un voyage initiatique au Bénin en 2000 et à l’actualité française, il n’a cessé de se renouveler, au cours des années récentes, avec des sculptures couvertes de marc de café, un tableau qui mêle les images comme un flux d’actualité, et surtout de grands fusains où l’on devine les formes et dont le mystère n’a rien à envier à la fraîcheur de ses premières années. After seeing several of his paintings in this winter’s Haiti exhibition at the Grand Palais, one of them in a dialogue with pieces by Jean-Michel Basquiat, the Hervé Télémaque retrospective at the Pompidou comes as a timely survey of his work. The show has the virtues of concision and clarity, while allowing the work its poetry, restraint and gnomic quality. Télémaque’s painting is freighted with autobiographical references necessary to an understanding of the works, but it would flatten everything to spell them out. Télémaque grew up in Haiti and moved to the U.S. where, the ambient racism notwithstanding, he set about learning from Abstract Expressionism, and especially from Arshile Gorky, to whom he pays homage in the last painting here, Le Moine comblé ( Satisfied Monk), which is as colorful and joyous as the Black Monk made by Gorky shortly before his suicide is despairing. Next comes the Parisian period and Figuration Narrative, of which Télémaque was one of the main protagonists. His formal vocabulary and main themes now take shape: the discourse on colonialism, the lady’s girdles recalling Duchamp’s Bride, sports accessories, references to consumerism, self-portraits, American comics characters, etc. He described these juxtapositions of images in his paintings and his first combine paintings in terms of “visual ignition.” Like many other artists of his generations, Télémaque withdrew from artistic life after May 1968. He stopped painting and made poetic sculptures using modest materials which he called the Large. Several of them have been brought together here, which is exceptional. The importance of line grows over the years under the influence of Hergé’s “clear line”—it’s no coincidence that this exhibition ends in the rooms usually dedicated to drawing. His work is a permanent dialogue with the art of the twentieth century, and especially with Duchamp, Magritte, Picasso and Matisse. In the 1980s, with his paintings becoming increasingly hermetic and rehearsing his early works in a series of variations, he developed a remarkable marquetry technique using paper that he cut out, glued and polished in places, then placed in boxes, sometimes accompanied by the objects they were made with. This series comprises traditional houses from the Berry, but also a very Matissian saddle which, eroticism aside, evokes Voodoo spirits—someone who is possessed is considered as being “mounted” by a spirit. Reacting to an initiatory journey to Benin in 2000 and events in France, over recent years he has been constantly renewing himself, making sculptures with coffee grounds, combining images like the flux of constant news, and above all, making big charcoal works where the forms are hinted at. This work has mystery that is easily the equal of the artist’s early freshness.
Translation, C. Penwarden