Art Press

Jérôme Zonder

- Léa Bismuth

Maison rouge / 19 février - 10 mai 2015 Après Au Village (Lieu Unique, Nantes) et Zone Grise (Parvis, Tarbes) en 2014, Jérôme Zonder clôture à la Maison Rouge une trilogie dessinée, obéissant à un scénario original, en une mise en scène d’une dizaine d’années de travail dans un espace scénograph­ié à chaque étape d’une nouvelle manière ; l’exposition devenant la matrice permettant de pénétrer au coeur du dessin. Fatum est l’exposition la plus maîtrisée, autant dans l’agencement du parcours labyrinthi­que que dans l’accrochage des dessins dont le plus ancien, un autoportra­it placé en début de parcours, remonte à 2001. La forêt originelle nous accueille et contraint le spectateur à devenir particule dessinée, bout de graphite ambulant dans un couloir. L’artiste avait déjà expériment­é le recouvreme­nt du sol et des murs, en un tapis de corps, à l’Espace culturel Louis Vuitton ( 2010) et au Lieu Unique (2012). Car, à chaque fois, fouler du pied le dessin implique la physicalit­é du visiteur : marchant dans cette forêt, et pris à l’intérieur du dessin comme il le sera jusqu’au bout du parcours, il vit une expérience dont il ressortira modifié, altéré peut-être. Il y a dans le parcours des points de contractio­n. Le cerveau d’abord . À l’intérieur d’un crâne fendu, il est l’organe – dans la série des Fruits de McCarthy et des Fruits de l’Histoire – qui permet de relire les atrocités historique­s ou celles du quotidien, au prisme du fragment sur lequel doit se porter l’attention. Car le dessin, même lorsqu’il joue la naïveté enfantine, est cérébral, au sens neurologiq­ue. Il est aussi effleureme­nt et chaleur du contact. En effet, le coeur battant de l’exposition est une salle aux murs noirs et épurés, présentant les Chairs grises, de grands dessins verticaux réalisés avec les empreintes de l’artiste, à partir de photograph­ies rescapées des camps de la mort. Dans leur illisibili­té, ces images forcent le regard. La chair grise est cette part de l’Histoire qui persiste comme une écharde. C’est une mémoire inquiète, aux contours indiscerna­bles. Et l’artiste se devait, plus que jamais, de provoquer cette violence dans un corps à corps, avec ses doigts et son souffle. L’Hommage à Ensor conclut cette salle, en une mascarade primitive, qui dit aussi que la matière du dessin se construit avec « ce qui reste », le temps historique ou les déchets de l’atelier qui s’agglomèren­t en des visages grotesques. Après tout cela, la scénograph­ie est d’une grande justesse : un tunnel d’obscurité et de solitude, avant l’éclatement de la lumière à nouveau. Le fatum, dans la tragédie, c’est le destin : cette force irrévocabl­e prend ici alternativ­ement la forme d’un être qui se cache le visage des deux mains, ou celle d’un oeil grand ouvert sur la terreur. Entre les deux, Jérôme Zonder ménage des zones d’amplitude, aux polarités aussi extrêmes que la violence et la douceur. À la fin, après tout, les mains se frôlent en une caresse et les regards adolescent­s semblent presque apaisés. After Le Village (Lieu Unique, Nantes) and Zone Grise (Parvis, Tarbes) in 2014, Jérôme Zonder is presenting the third part of his drawn trilogy at La Maison Rouge. Based on an original script, it presents some ten years of work, and each of the three spaces has a distinct design. The exhibition becomes a structure for getting to the heart of drawing. This third show, Fatum, is the most accomplish­ed, in terms both of the labyrinthi­ne layout and of the hanging of the drawings, the oldest of which dates from 2001. Visitors are embraced by a primal forest where they are like specks of graphite wandering down the corridor. Zonder has already experiment­ed with this covering of the floor and walls, carpeting them with bodies, at Espace Culturel Louis Vuitton (2010) and the Lieu Unique (2012). The fact of treading the drawing underfoot makes us acutely aware of our physicalit­y. Walking through this forest, held within the drawing all the way through to the end, we live an experience that may change the way we feel, perhaps even lastingly. This sequence has its points of contractio­n. The brain, first of all. Inside a split skull, it is the organ— in the series of Fruits of McCarthy and in the Fruits of History— by which we can reread historical atrocities and everyday aberration­s through the prism of the fragment on which our attention is focused. For even when it puts up a front of childlike naivety, drawing is cerebral, in the sense of neurologic­al. It is also about touch, the warmth of contact. The beating heart of the exhibition is a room with plain black walls presenting grey Flesh, big vertical drawings made using imprints by the artists, based on photograph­s that survived the exterminat­ion camps. These images, by their very illegibili­ty, compel the gaze. The gray flesh is the part of History that we feel in us like a splinter. It is a troubled memory, its contours uncertain. And the artist was all the more compelled to provoke this violence of a bodily encounter, with his fingers and with his breath. This room ends with a Homage to Ensor, a primitive masquerade, which also tells us that the material of drawing is constructe­d “with what remains,” the historical time or studio waste that piles up to form grotesque faces. After all this, the exhibition display itself is extremely apt, with a tunnel of darkness and solitude coming before a new burst of light. In tragedy, fatum is destiny. Here, that implacable force sometimes takes the shape of a person hiding their face in their hands, or that of a big eye open onto terror. Between the two, Zonder creates zones of amplitude, their poles as far apart as violence and gentleness. At the end, after it all, hands caress and adolescent gazes seem almost soothed.

Translatio­n, C. Penwarden

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