ALDO LEOPOLD l’écologie, une guerre du goût
Aldo Leopold Pour la santé de la terre José Corti, « Biophilia » La Conscience écologique Wildproject
« Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas. » Ainsi commence, presque brutalement, l’Almanach d’un comté des sables d’Aldo Leopold (1887-1948), pionnier de la pensée écologique américaine. Étonnante sommation, par laquelle le lecteur croit comprendre simultanément qu’une sorte de guerre est en cours, dont il n’a pas idée, et qu’il doit choisir son camp sur un sujet auquel il n’a jamais réfléchi. Puis-je me passer des êtres sauvages ? Mais que sont, au juste, les « êtres sauvages » ? Et que signifierait ne pas s’en passer ? Suis-je prêt, à rebours, à me satisfaire d’un monde entièrement arraisonné, cousu de routes, sans autre accident que, de loin en loin, quelque panneau indicateur à l’usage des touristes ? Telles sont les questions, inséparablement éthiques et esthétiques, que pose l’oeuvre d’Aldo Leopold, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas reçu pour l’instant en France l’attention qu’elle mérite. L’Almanach, vade-mecum de plusieurs générations de défenseurs de la nature et tout simplement l’un des grands livres de la littérature américaine du siècle passé, a poursuivi chez nous une carrière bien discrète depuis sa traduction chez Aubier en 1995. La publication de deux recueils de ses articles, l’un chez Wildproject en 2013, l’autre tout récemment chez José Corti, n’en est que plus digne d’être saluée. La pensée d’Aldo Leopold est née à la croisée de son expérience de chasseur, de sa carrière de forestier et de ses recherches en gestion du gibier. Lorsqu’il fait ses premières armes, vers 1910, la chasse sportive aux grands prédateurs s’autorise de la protection du bétail et du gibier. Leopold comprend, parmi les premiers, que la surpopulation de cerfs qu’entraîne la surchasse des loups exerce une pression insupportable sur les espèces végétales dont ils se nourrissent et menace l’équilibre de tout un milieu. La notion d’écosystème n’existe pas encore pour établir que l’activité humaine doit être pensée à l’intérieur de ce que Leopold finira par appeler « communauté », dont le concept insiste sur l’interdépendance de ses parties. Dépassant l’opposition romantique entre « homme » et « nature », hostile à la conception culpabilisatrice de l’écologie, fondée sur la crainte et l’indignation, dont résulte l’idéologie actuelle du développement durable, Leopold accueille dans sa réflexion la sensibilité humaine dans toutes ses expressions. Évoquant dans son style simple et précis les moeurs des oiseaux, les besoins de la prairie, les ravages des incendies incontrôlés et de la canalisation des cours d’eau, ce qu’il propose au lecteur, c’est en somme de changer de plaisirs. Les vertus qu’il prête à la protection de la nature ne sont pas éloignées de celles nécessaires à la création artistique : « Le fermier est, par définition, l’individu qui choisit la faune et la flore dont il s’entoure. Le travail de la ferme est la distinction la plus manifeste entre les hommes et les animaux. Il en existe d’autres, paraît-il, mais elles ne sont pas aussi visibles. »