ÊTRE CHEMIN
Serge Daney disait que le marcheur « est celui qui accepte cette idée que le spectacle est toujours déjà commencé. Sa lenteur l’y oblige, tout comme le fait que ce qu’il découvre vit à son propre rythme ». Dans Monologues de la boue, Colette Mazabrard évoque une femme qui marche seule pour se délester des blessures encore vives d’une séparation. Les paysages et les villages sont les témoins involontaires de son passage qui ne change rien à leurs habitudes, à l’équilibre précaire de ce qui les constitue. Guidée par les cafés, les horaires des boulangeries, des boucheries, par les averses, liées aux contraintes de la gourde à remplir, de trouver avant la nuit l’endroit où planter la tente, elle sait que l’essentiel n’est pas d’atteindre un point d’éclaircissement, de dépassement, mais de se « remplir » du chemin, de combler tout ce qui rappelle l’absence, de se nourrir des « visages », des « lumières » et des « paroles » du chemin. Pour elle, « le but est de faire chemin, être en chemin, d’être chemin. » Les mots deviennent ainsi la souplesse humide de l’herbe, le poids du sac à dos, l’épreuve de l’asphalte, le sang des orteils, la contagion de la boue, l’impatience des pierres et le regard des autres. Digues de ciel est une sorte de vagabondage dans cet ensemble complexe de données, de signes et d’indices qui identifie quelques grandes villes du Canada et des États-Unis. Dans ce livre élégant, ponctué d’aquarelles de Nono, Alexis Gloaguen collecte des sons, des odeurs, des images, des segments de vies ordinaires. Son écriture, toujours sur le vif, s’assimile à une improvisation musicale, à une création permanente dont la production adopte la possibilité respiratoire des espaces urbains, saturés d’étages et d’aventures particulières.
Didier Arnaudet