Art Press

Sans entraves et sans temps morts II

- Vincent Roy

Grasset Il faut lire Cécile Guilbert, c’est salutaire. Son goût est très sûr − c’est suffisamme­nt rare pour être relevé. Suivez-la sur Saint-Simon, Warhol, Debord, Sade, aussi bien sur Simon Liberati, Jack-Alain Léger : elle aime les aventurier­s de l’écart, c’est-à-dire ceux qui « détraquent la famille, la carrière, la hiérarchie des fonctions et des charges, des titres, des emplois », ceux qui portent « l’individuat­ion au rang des beaux-arts [...] et se vaporisent parfois dans les succédanés de tous les êtres qui ont la passion de faire de leur être un art ». D’où le choix des écrivains qu’elle commente ou préface – la liste est serrée, Guilbert ne se trompe pas de cibles : ceux qui la captivent sont essentiell­ement libres. Ils écrivent inflammato­irement comme Barbey, provoquent comme Cravan, jouent « l’exception contre la règle » comme Nabokov. Le second tome des oeuvres critiques de l’auteur de Réanimatio­n (2012), à l’instar de Sans entraves et sans temps morts (2009), est à nouveau un livre de combat. Guilbert y ferraille tout ensemble contre les « sempiterne­ls et paresseux jugements binaires » sur Céline, contre la mollesse et la tiédeur de l’époque, contre « le manque général d’enthousias­me où ne surnagent plus que les rabâchages d’arrivismes et la voracité ploutocrat­ique », contre la pratique basique d’un certain art contempora­in. Elle tonne surtout contre les tristes moralistes, les « pisse-froid de sacristie » en leur lançant : « Il y a belle lurette que le bien n’est plus identifié au vrai ni le juste au beau. » À travers ses passions littéraire­s, Cécile Guilbert se peint. Et ce qui frappe, c’est son coup de pinceau. Sa touche est vive, dense. Son dessin précis. Son autoportra­it a sa place sur les cimaises du « musée national » de nos écrivains de talent!

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