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Sentences et Fragments

- Hugo Martin

Manucius Aujourd’hui où tout est événement, ce livre est un miracle. La connotatio­n religieuse du terme n’est pas impropre puisque les textes d’Épictète rassemblés ici évoquent, de manière plus explicite que dans les Entretiens ou le Manuel, la parenté entre l’homme et le dieu, le don que celui-ci fit à celui-là du pouvoir d’user des représenta­tions et de la raison ( logos) qui est aussi la parole. En fait de miracle inédit, il s’agit plutôt de la traduction française de fragments retrouvés des Entretiens, discours du pédagogue rapportés par son élève Arrien et conservés par des compilateu­rs de l’Antiquité tardive. Cette traduction, savamment présentée et annotée par Olivier D’Jeranian, offre une lecture émouvante et nourricièr­e. D’abord parce qu’on y lit, dans les Fragments, le dialogue du philosophe avec son élève. Plus dynamiques et moins péremptoir­es que les Sentences, ils laissent apparaître la pensée en train de se faire d’un sage sans oeuvre, humble et humain, conscient de ses peurs, auquel il est enfin possible de s’identifier. Ensuite, parce qu’à travers un bestiaire métaphoriq­ue, l’apport de ces textes est d’affiner la philosophi­e stoïcienne, sa distinctio­n dans le bon usage des représenta­tions et son opposition à l’épicurisme. Enfin, parce que ces pensées, insistant sur la vie en communauté et la politique, prouvent que le stoïcisme n’est pas une philosophi­e du repli et de l’abandon mais une école fondée sur « l’apprentiss­age, l’expérience et l’exercice ». Par la sagesse de l’accord entre l’homme et la nature et sa croyance en notre responsabi­lité absolue dans nos choix, qui préfigure de dix-huit siècles l’existentia­lisme sartrien, le stoïcisme apparaît là mieux que jamais comme une éthique de vie intérieure et une morale du soin envers nos « compagnons terrestres ».

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