Sentences et Fragments
Manucius Aujourd’hui où tout est événement, ce livre est un miracle. La connotation religieuse du terme n’est pas impropre puisque les textes d’Épictète rassemblés ici évoquent, de manière plus explicite que dans les Entretiens ou le Manuel, la parenté entre l’homme et le dieu, le don que celui-ci fit à celui-là du pouvoir d’user des représentations et de la raison ( logos) qui est aussi la parole. En fait de miracle inédit, il s’agit plutôt de la traduction française de fragments retrouvés des Entretiens, discours du pédagogue rapportés par son élève Arrien et conservés par des compilateurs de l’Antiquité tardive. Cette traduction, savamment présentée et annotée par Olivier D’Jeranian, offre une lecture émouvante et nourricière. D’abord parce qu’on y lit, dans les Fragments, le dialogue du philosophe avec son élève. Plus dynamiques et moins péremptoires que les Sentences, ils laissent apparaître la pensée en train de se faire d’un sage sans oeuvre, humble et humain, conscient de ses peurs, auquel il est enfin possible de s’identifier. Ensuite, parce qu’à travers un bestiaire métaphorique, l’apport de ces textes est d’affiner la philosophie stoïcienne, sa distinction dans le bon usage des représentations et son opposition à l’épicurisme. Enfin, parce que ces pensées, insistant sur la vie en communauté et la politique, prouvent que le stoïcisme n’est pas une philosophie du repli et de l’abandon mais une école fondée sur « l’apprentissage, l’expérience et l’exercice ». Par la sagesse de l’accord entre l’homme et la nature et sa croyance en notre responsabilité absolue dans nos choix, qui préfigure de dix-huit siècles l’existentialisme sartrien, le stoïcisme apparaît là mieux que jamais comme une éthique de vie intérieure et une morale du soin envers nos « compagnons terrestres ».