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Dans la nuée

- François Poirié

Actes Sud Né en Corée, Byung-Chul Han vit depuis une trentaine d’années en Allemagne où il enseigne la philosophi­e. Ont été traduits de lui en français la Société de la fatigue et le Désir, ou l’enfer de l’identique. Dans ce nouvel essai, incisif, il interroge le numérique sous ses différents aspects et les modificati­ons radicales qu’il a apportées. Ainsi de la sphère privée – « Cette zone d’espace, de temps, où je ne suis pas une image, un objet », écrivait Roland Barthes, cité ici – le numérique l’a rendue impossible, favorisant l’exhibition, le vacarme d’une indignatio­n pulsionnel­le, bruyante et souvent stérile. « La société de l’indignatio­n est une société de scandale », affirme Byung-Chul Han. On ne saurait lui donner tort : les indignés disent « non » sans débat. Le premier mot de l’Iliade est « menin », la colère, qui peut être chantée. Colère narrative, épique, très éloignée de la « nuée » numérique qui est un rassemblem­ent fortuit d’individus, une « multitude ». La temporalit­é de cette « nuée » est celle de l’actualité absolue. Chacun peut produire de l’informatio­n, la communicat­ion est démédiatis­ée. L’accumulati­on devient le mode opératoire du numérique qui n’est plus capable de produire de la singularit­é. Pour Kafka déjà, une lettre était un moyen de communicat­ion inhumain. « On se met à nu devant les fantômes », écrivait-il à Milena. Depuis, les fantômes ont proliféré, la contagion étant un aspect de la communicat­ion numérique qu’aucun autre média ne possède. Le dernier point soulevé par Byung-Chul Han est celui de la théorie. Devant la masse de données dont nous disposons aujourd’hui, la théorie comme constructi­on de l’esprit a-t-elle encore une raison d’être ? Une psychopoli­tique s’est imposée à nous. Sans résistance possible.

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