Dans la nuée
Actes Sud Né en Corée, Byung-Chul Han vit depuis une trentaine d’années en Allemagne où il enseigne la philosophie. Ont été traduits de lui en français la Société de la fatigue et le Désir, ou l’enfer de l’identique. Dans ce nouvel essai, incisif, il interroge le numérique sous ses différents aspects et les modifications radicales qu’il a apportées. Ainsi de la sphère privée – « Cette zone d’espace, de temps, où je ne suis pas une image, un objet », écrivait Roland Barthes, cité ici – le numérique l’a rendue impossible, favorisant l’exhibition, le vacarme d’une indignation pulsionnelle, bruyante et souvent stérile. « La société de l’indignation est une société de scandale », affirme Byung-Chul Han. On ne saurait lui donner tort : les indignés disent « non » sans débat. Le premier mot de l’Iliade est « menin », la colère, qui peut être chantée. Colère narrative, épique, très éloignée de la « nuée » numérique qui est un rassemblement fortuit d’individus, une « multitude ». La temporalité de cette « nuée » est celle de l’actualité absolue. Chacun peut produire de l’information, la communication est démédiatisée. L’accumulation devient le mode opératoire du numérique qui n’est plus capable de produire de la singularité. Pour Kafka déjà, une lettre était un moyen de communication inhumain. « On se met à nu devant les fantômes », écrivait-il à Milena. Depuis, les fantômes ont proliféré, la contagion étant un aspect de la communication numérique qu’aucun autre média ne possède. Le dernier point soulevé par Byung-Chul Han est celui de la théorie. Devant la masse de données dont nous disposons aujourd’hui, la théorie comme construction de l’esprit a-t-elle encore une raison d’être ? Une psychopolitique s’est imposée à nous. Sans résistance possible.