Pavillons nationaux 1
La sélection opérée par Okwui Enwezor pour cette 56e édition entend refléter l’attention que les artistes d’aujourd’hui prêtent à la situation politique mondiale. Les travaux évoquant les crises ou les désordres géopolitiques sont aussi très nombreux dans les pavillons nationaux. Une émotion que l’on n’éprouve pas toujours dans le parcours conçu par le commissaire général peut alors vous saisir au détour de l’un d’eux en vous surprenant par sa simplicité, son absence d’emphase, son caractère d’authenticité. Au bout de l’Arsenal, par exemple, la Slovénie accueille le visiteur dans une petite construction en bois, sobrement équipée d’un piano, où se déroulent, à l’initiative de Jaša (Ljubljana, 1978), et pendant toute la biennale, une série de mini-performances destinées à créer un espace commun d’expériences et de sensations. Plus loin, un déferlement d’écrans happe brusquement l’attention dans le pavillon de la République populaire de Chine, dont l’architecture a été confiée à Rem Koolhaas. La création, socialisme oblige, étant ici l’apanage de tous, on assiste – grâce notamment au développement des technologies numériques – à une explosion de témoignages, de gens qui se racontent, décrivent leur cadre de vie, leurs désirs de changement, etc. « I see, I record, I participate », énonce-ton dans l’étonnant documentaire collectif présenté par Wu Wenguang. À l’Arsenal toujours, le pavillon géorgien se distingue avec une installation un peu compliquée, mais habile à communiquer l’angoisse engendrée par des frontières instables. Dans les Giardini, la palme de l’économie de moyens et de l’efficacité revient au pavillon serbe où Ivan Grubanov a disposé au sol, en une dizaine de tas, les drapeaux d’autant de nations disparues. À quelques pas de là, le pavillon du Brésil présente, entres autres, un film de Berna Reale dénonçant l’une des prisons les plus peuplées au monde. En ville, la visite du pavillon chypriote s’impose avec la participation de Christodoulos Panayiotou qui interroge les notions de valeur, de vrai, de faux au moyen d’oeuvres concises et fortes : tableaux monochromes dorés, pavement en mosaïque rappelant les sites archéologiques, chaussures fabriquées à partir de sacs en simili cuir achetés à des vendeurs à la sauvette, ou encore montagne de billets de banque déchiquetés à l’occasion du passage de Chypre à l’euro. Dans le monastère de l’île de San Lazarro, investi cette année par les descendants des survivants du génocide arménien, le film intimiste de Rosana Palazyan suscite l’intérêt, tout comme les photographies de Hrair Sarkissian. La guerre et ses souffrances est aussi au coeur de l’exposition produite par la Ruya Foundation pour la culture en Irak. Intitulée Invisible Beauty, elle rassemble les oeuvres de cinq artistes irakiens. Parmi eux, Latif Al Ani, le père de la photographie irakienne, a cessé de travailler depuis plusieurs années en raison de l’impossibilité de photographier en public. « The past is mine. Not future », écrit-il. Des paroles qui tranchent violemment avec le titre général de ce rendez-vous vénitien. Okwui Enwezor’s selection for this fifty-sixth edition of the Biennale seeks to reflect the concerns about the global political situation felt by today’s artists. The national pavilions are full of work about geopolitical crisis and disorders. So occasionally you find yourself feeling emotions that you haven’t always felt as you explore the highways and byways of Enwezor’s show, a striking sense of simplicity, an absence of grandiloquence, a surprising authenticity. At the end of the Arsenale, for example, the Slovenian pavilion is a small wooden structure sparsely equipped with a piano. At the initiative of Jaša (born 1978, Ljubljana), throughout the Biennale it will host a series of mini-performances meant to produce a common space of experiences and sensations. A bit further along, a row of screens grabs our attention at the People’s Republic of China Pavilion designed by Rem Koolhaas. Since under socialism art is supposed to be for everyone, and thanks to the development of digital technologies, speaking for us are a host of people talking about themselves, describing their lifestyle, their desires for change, etc. “I see, I record, I participate,” we are told in this astonishing collective documentary presented by Wu Wenguang. Also at the Arsenale, the Georgian Pavilion distinguishes itself with an installation that is somewhat complicated and yet able to convey the anxiety engendered by unstable borders. At the Giardini, the prize for economy of means and efficacy should be awarded to the Serbian pavilion where Ivan Grubanov has piled the flags of ten no longer existing countries into ten distinct heaps on the ground. The Brazilian pavilion nearby presents, among other things, a film by Berna Reale exposing one of the world’s most crowded prisons. In town, the Cypriot pavilion is a must-see. Christodoulos Panayiotou interrogates the concepts of value, the true and the false with concise, powerful pieces: gilded monochrome canvases, a mosaic pavement recalling an archeologi- cal site, shoes made from fake leather purses bought from street peddlers, and amountain of shredded banknotes produced when Cyprus adopted the euro. In the monastery on the island of San Lazarro, occupied this year by the descendents of survivors of the Armenian genocide, there is an interesting intimist film by Rosana Palazyan and photos by Hrair Sarkissian. War and its suffering are also at the heart of the exhibition produced by the Ruya Foundation for Contemporary Culture in Iraq entitled Invisible Beauty, with work by five Iraqi artists. One of them, Latif Al Ani, the father of Iraqi photography, had to stop working several decades ago when it became impossible to take pictures in public spaces. “The past is mine. Not future,” he writes. These words clash bitterly with the overall title of this year’s Biennale.
Translation, L-S Torgoff