AUCUNE DÉFINITION
Il ne croit pas trop à la continuité de l’existence. Selon lui, nous oublions que nous vivons aussi la nuit. Les nuits sont doublement réparatrices, notre vie nocturne est autant et plus intense que notre vie diurne. Hélas, nous l’oublions le plus souvent. J’ai déjà dit que le rêve modifie Perry. Il refoule dans le rêve, sans doute pour s’en débarrasser, les aspects dramatiques ou poétiques mal perçus de sa vie apparente. « Lisez-moi ! », dit-il. Je le lis. L’esprit du personnage, sa pensée se mettent à exister, puis se contredisent et s’évanouissent. Cela m’amuse aussi ; c’est comme un jeu. J’essaie de l’attraper, il m’échappe. Je voudrais l’aplatir sur ces quelques pages, il se redresse aussitôt sous un angle que je n’avais pas imaginé. J’ai demandé à Perry : « Qui êtes-vous ? » Il m’a répondu : « Je ne sais pas, je suis ouvert et fermé comme une huître ; je filtre, je me nourris d’invisible. Un peu de soleil le matin et, le reste du jour, dans l’ombre tiède de mon bureau. » Quand nous déjeunons ensemble, Perry aide Katalin entre cuisine et salle à manger, mais parvient mal à cacher sa paresse, ses douleurs et son impatience. Je sais qu’il attend le moment de dormir. La sieste ! Il va fermer les rideaux et s’étendre sur le lit. Dans la pénombre chaude, il va lire plus ou moins longtemps et s’endormir d’un coup, le livre ouvert sur le ventre, toujours tenu par la main gauche à la bonne page. S’il se réveille, il va redresser le livre, et s’étonner de ce qu’il lit et de ne pas reconnaître les gens dont il s’agit et les circonstances souvent futiles de leur vie. Il aime l’idée d’être privilégié, même s’il répète souvent qu’il n’a pas eu de chance mais une extraordinaire liberté. Ce n’est pas contradictoire ; il n’avait pas à travailler comme les autres, tous les jours à heures fixes. Ou bien, s’il s’y est essayé quelquefois, peu importait ; il finissait toujours par être rejeté. Avec égards, on reconnaissait que les contraintes n’étaient pas faites pour un écrivain. D’avoir « travaillé », mal, comme les autres, quatre fois, quelques mois, dans des agences de « pub » avant d’être viré, ferait partie de sa biographie. Il n’a inventé aucun mouvement littéraire ; il ne rend compte que de lui-même, de sa singularité, de ses élans et de ses refus,