Art Press

Le Monde en détails

- Georges Banu

Seuil D’emblée, Jean-Loup Rivière s’inscrit dans la filiation de trois instances – Lessing, Roland Barthes et Daniel Arasse – qui ont saisi et théorisé la portée du détail, qui témoigne d’une posture « rapprochée » propre au lecteur, à l’amateur d’art ou au spectateur. Le regard de près n’a pas pour fonction d’évaluer, selon une vielle tradition académique, la perfection d’une exécution. Comme eux, Rivière fait du détail une possibilit­é d’accès personnel à l’oeuvre. Ce spécialist­e qui enseigne les études théâtrales est ici un « amateur de luxe » qui n’étale pas son savoir ni n’affiche son expérience. Le plaisir est alors ludique et son livre à plusieurs entrées, étonnantes, disparates, le confirme. Il séduit parce que vagabond, affranchi des contrainte­s, à même de passer avec désinvoltu­re du sommeil au théâtre à la nostalgie des anciennes salles agitées, du E muet à la remémorati­on du Misanthrop­e par Charlotte Delbo dans les camps nazis… Les chapitres sont brefs et ils n’imposent pas une lecture en continu. Voilà un livre que Barthes aurait aimé, justement parce qu’il peut être feuilleté sans réticence ni culpabilit­é. Rivière adopte une perspectiv­e courte qui lui permet d’agrandir un effet de discours, d’esquisser des théories du théâtre en une page, de surprendre et séduire, toujours avec élégance et souvent avec humour. C’est l’humour des idées qui surgissent au détour d’une phrase pour dénoncer, avec une distance ironique, des lieux communs. Rivière procède à un subtil travail de nettoyage. Voilà un livre gai ! Et en même temps un livre polémique à l’égard du « grand format » devenu impératif consensuel des temps modernes. Une question : pourquoi le Monde en détails et non le Théâtre en détails ? Parce que le théâtre se vend mal ?

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