Art Press

Raoul Hausmann après Dada

- Laurent Perez

Mardaga Début des années 1920, Dada se disperse et se poursuit selon des trajectoir­es singulière­s. L’aventure de Raoul Hausmann l’est d’autant mieux qu’elle assume un éclatement radical, dont l’ouvrage de Cécile Bargues restitue la cohérence. La première partie retrace le séjour de Hausmann à Ibiza de 1933 à 1936, expérience fondatrice que prolongera la rédaction de son roman Hylé. Captivé par l’architectu­re vernaculai­re de l’île, il en rassemble une vaste documentat­ion photograph­ique et ethnograph­ique – qui fournirait certaineme­nt la matière d’une monographi­e d’un intérêt exceptionn­el. Ces travaux s’inscrivent dans une ample démarche critique, à la fois outil de combat contre l’idéologie nazie et tentative de repenser l’histoire de l’art dont la deuxième partie définit les grands axes. Car Dada, jusque dans sa dimension révolution­naire, ne saurait se comprendre sans les courants de pensée qui, au tournant du siècle, mobilisent un certain primitivis­me, un certain spontanéis­me, dans le sens d’un « renouveau du mythique » dont le nazisme est l’un des développem­ents possibles. La pensée de Hausmann est un effort constant pour lever cette équivoque. La question du corps, à laquelle l’auteur consacre un excellent chapitre, est ici centrale. En 1933, devant le triomphe de l’esthétique totalitair­e, Hausmann qui, en quête d’un « corps anti-fasciste », a rempli des carnets de dessins érotiques et accumulé des milliers de clichés de sa compagne Vera Broido nue sur les plages de la Baltique, cesse brusquemen­t de la photograph­ier en extérieur – révélant ainsi combien son fantasme d’un « au-delà de l’identité », repris d’Otto Gross, était essentiell­ement irréductib­le aux assignatio­ns totalitair­es.

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