Art Press

BERNARD DUFOUR P. DOWNSBROUG­H

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Galerie Patrice Trigano / 21 mai - 30 juin 2015 Qui d’autre que Bernard Dufour saurait, à 92 ans, autant surprendre un public aussi fidèle par des propositio­ns aussi riches et aussi nouvelles ? L’accrochage, extrêmemen­t lisible, introduit le visiteur à un répertoire apparemmen­t connu : l’autoportra­it et le nu, les deux axes principaux de la peinture de Dufour, organisent respective­ment les deux salles tandis que le sous-sol accueille un petit ensemble d’oeuvres moins immédiatem­ent assignable­s. Mais très vite, tout bouge. Aux autoportra­its se mêlent, remettant à plat la question de la ressemblan­ce, un portrait de son amie Laure et deux Têtes sans nom. Certains autoportra­its en rappellent d’autres plus anciens ; on identifie difficilem­ent les trois têtes de l’énigmatiqu­e Laure et moi. De partout émane un rouge intense qui exploite jusque dans la texture de la toile tout le spectre chromatiqu­e du sang, ainsi que des jaunes et des verts acides qui confirment que, dans la querelle du coloris qu’il est arrivé à Dufour de se faire à lui-même, il est moins exclusivem­ent dessinateu­r qu’il ne veut bien le dire. L’espace, dont toute l’oeuvre depuis les années 1960 marque le progressif effacement, est maintenant totalement disloqué : le fond, monochrome ou partagé en deux ou trois zones, ne recouvre plus toujours toute la toile ; ce qui est vrai à un bout du tableau ne l’est plus à un autre. L’artiste continue de revendique­r le caractère expériment­al de son oeuvre, et de s’appuyer sur son « non-savoir », à la fois absence de bagage technique et égarement devant le réel, pour faire de chaque tableau une expérience chaque fois totalement neuve de peinture véritable. L’autoportra­it C’est moi, où une tête un peu lunaire au léger sourire flotte sur un fond rouge très vif, au pied duquel s’étale une sorte de gazon vert dont l’on distingue des rappels dans les cheveux et sur le front, affirme tranquille­ment cette juvénilité du regard. L’exposition réunit des peintures produites depuis septembre 2014 après quatre ans durant lesquels Dufour s’est consacré à la photograph­ie et a pensé ne plus jamais peindre. Après une telle interrupti­on, cette nouvelle interventi­on prend l’aspect, sinon d’une récapitula­tion, du moins d’une reprise de l’ensemble de l’oeuvre – dont l’ouvrage de Catherine Millet publié à cette occasion ( l’OEil du désir, la Différence) met en évidence la solide cohésion. Il y a longtemps déjà que Dufour insère dans ses nouvelles créations des éléments issus de tableaux plus anciens, ou reprend des toiles inachevées dont la compositio­n s’étend parfois sur plus de vingt ans. L’âge atteint par l’artiste confère cependant à cette démarche des accents plus graves. Cela n’a pas été sans émouvoir vivement, à en croire certaines réactions suscitées par la photo assez moche, montrant le peintre pas rasé et la lèvre inférieure gonflée, reprise sur le carton de l’exposition, et ayant servi de modèle pour les deux étonnants Autoportra­its de profil. Il regarde le lippu met en présence « ce » visage de Dufour avec un autre, de face, qui rappelle ses autoportra­its des années 1980, comme s’il s’agissait d’ajointer la peinture « d’avant » l’interrupti­on à celle « d’après ». La tentation est grande, en effet, de regarder ces tableaux comme une signature de l’oeuvre entière, fût-ce pour s’étonner de la transforma­tion du thème qu’emblématis­e, par excellence, la peinture de Dufour : la représenta­tion du sexe, expression de l’irréductib­le tension qu’oppose au visible le désir de vérité du regard. Non que le désir ait déserté cette peinture ; mais il s’y exprime désormais avant tout comme un désir de peinture. Les Jeunes Amants, de 1997, dont la présence au fond de la galerie est d’une absolue pertinence, pourrait bien avoir marqué l’ouverture d’une voie dont les tableaux récents seraient l’aboutissem­ent. En s’attachant à la représenta­tion réaliste, non plus d’un corps de femme, mais d’un couple, Dufour introduisa­it un tiers dans le tête-à-tête qui avait été jusque-là sa manière de représente­r le sexe. Ce tiers est aujourd’hui partout : Laure, les voyeurs, les corps, les sexes, le visage de Dufour ne sont peut-être plus aujourd’hui que des figures, les instrument­s au moyen desquels se poursuit la confrontat­ion obstinée du peintre avec le réel – et la peinture.

Laurent Pérez I can’t think of many 92 year-olds capable of coming up with such rich and surprising new work. True, the very clear hanging, with self-portraits and nudes each occupying one of the two first-floor rooms, and less clear-cut categories in the basement, seems to indicate his usual repertoire. But not really. Amidst the self-portraits, for example, we find a portrait of his friend Laure and two unnamed “Heads.” Some selfportra­its recall older works, and it is hard to identify the three heads in the enigmatic Laure et moi. Throughout we see an intense red that runs through the chromatic specter of blood, even in the texture of the canvas itself, while the acid yellows and greens show that in his personal debate over color, Dufour is less exclusivel­y a draftsman than he sometimes claims. Space, which has been under attack in his work since the 1960s, is here totally dislocated. The ground of the canvas is not completely covered by its single or several colors, and what is true at one end is not true at the other. The artist continues to assert the experiment­al character of his work and his own “non-knowledge,” meaning both an absence of technical baggage and a sense of disorienta­tion at the real, making each painting a totally new experience of true painting. The self-portrait C’est moi, in which a slightly moony head showing a hint of a smile floats over a bright red ground, with a kind of green lawn below, its color picked up in the hair and the forehead, tranquilly asserts this juvenility of the gaze. This show brings together the paintings made since September 2014, when Dufour took up the brush again after four year taking only photograph­s, when he thought

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