Art Press

reGenerati­on3

Musée de l’Élysée / 29 mai - 23 août 2015

- Étienne Hatt

Le musée de l’Élysée fête ses trente ans et présente la troisième édition d’un panorama de la jeune création photograph­ique internatio­nale. Comme en 2005 et en 2010, il réunit une cinquantai­ne d’artistes présélecti­onnés par des écoles dont ils sont récemment diplômés. Gage de qualité, le procédé a le défaut d’exclure les autodidact­es, dont les travaux sont parfois plus singuliers, et de dépendre du bon vouloir des écoles contactées. On regrette ainsi l’absence de diplômés de l’école d’Arles qui n’a visiblemen­t pas jugé bon de participer à cette édition de reGenerati­on dont la reconnaiss­ance internatio­nale, appuyée sur une itinérance dynamique, est réelle. Comme l’école d’Arles n’est pas la seule en France et que les artistes se forment aussi à l’étranger, quelques Français sont néanmoins présents. Mais l’intérêt de reGenerati­on est son ouverture internatio­nale, encore accentuée cette année. Elle rassemble 26 nationalit­és et tous les continents. Un grand nombre des artistes a entre 25 et 30 ans. Certains sont plus expériment­és, signe qu’en plus d’être mobiles, ils prolongent leur formation. Le travail de Delphine Burtin est, ainsi, déjà visible depuis quelque temps. Née en 1974, l’artiste est sortie diplômée de l’école de Vevey en 2013. Il est pourtant des différence­s avec les éditions précédente­s. La première est son « approche multidisci­plinaire » qui entend saisir le « caractère polymorphe » de la photograph­ie d’aujourd’hui. Elle explique les installati­ons et les travaux associant photograph­ie et objet, texte, son ou vidéo, qui sont des manières de montrer ou de mettre en tension la photograph­ie. (Attaché à la ques- tion du médium et à ses bouleverse­ments spécifique­s actuels, je trouve plus discutable­s, dans ce contexte, les quelques vidéos qui n’empruntent rien à la photograph­ie et contribuen­t à la diluer dans le grand bain des images.) Une autre différence est la volonté d’articuler ce panorama. Les trois thématique­s, se déployant chacune sur un étage du musée, semblent trop larges. Mais, chacune à sa manière, « La question de la mémoire », « La diversité des formes documentai­res » et « La richesse des expression­s esthétique­s » s’avèrent efficiente­s. La première confirme que la mémoire, qui ne se réduit pas à l’intime mais peut tendre vers l’histoire, est effectivem­ent une préoccupat­ion dominante, qu’elle donne lieu à des travaux expressifs ou beaucoup plus ironiques. La deuxième insiste sur le renouvelle­ment du documentai­re et semble vouloir en élargir la définition. La série de Rachel Boillot sur la disparitio­n des bureaux de poste dans le sud des États-Unis est fidèle, par son sujet et sa frontalité, à la tradition documentai­re. Mais elle semble anachroniq­ue face à des travaux qui recourent explicitem­ent à la performanc­e ou à l’image construite. Giacomo Bianchetti s’intéresse aux grandes entreprise­s suisses. Mais, en manière d’enquête, il installe sa chambre photograph­ique juste devant leurs entrées et consigne les réactions à cette insistance intrusive. Jennifer B. Thoreson repousse encore les limites du genre : ses mises en scène où les corps deviennent des masses informes, entre cocons et éponges, parlent avec justesse, mais de manière imagée, des crises de l’existence. Encore plus hétérogène, mais tout aussi stimulante, la troisième partie avance l’idée que les derniers développem­ents de la photograph­ie sont indexés sur l’histoire du médium, ses techniques et ses usages, et plus généraleme­nt sur l’histoire de l’art. Simon Rimaz présente ainsi le horschamp de tirages de presse recadrés avant publicatio­n (voir p. 60) quand Michael Etzensperg­er contribue au débat, auquel Wölfflin avait participé en son temps, sur la difficile reproducti­on photograph­ique de sculptures. Les découpes qu’il opère dans des pages de livres d’histoire de l’art redonnent du volume au marbre et l’animent. ReGenerati­on3 atteste ainsi que la sculpture est à nouveau une question centrale de la photograph­ie. En témoignent également les équilibres instables de Delphine Burtin qui transforme des rebuts en sculptures en deux dimensions et dépasse cette contradict­ion en métamorpho­sant l’image en cube. L’effet est volontaire­ment paradoxal : l’objet initial, déjà dénaturé par la photograph­ie, est désormais illisible. Si l’on souhaite tirer quelques conclusion­s d’ordre général de reGenerati­on3, on constatera la disparitio­n de certains poncifs, par exemple le motif de la ville, son abstractio­n et sa solitude, et l’essor de formes moins autoritair­es que le grand format, comme le livre, auquel le musée de l’Élysée est historique­ment attaché. Le numérique et ses possibilit­és, jusqu’au jeu vidéo conçu par Emile Barret pour voyager dans ses images, sont largement assumés. C’est pourquoi les techniques anciennes sont ici moins revisitées par rejet du numérique que pour leur matérialit­é (somptueux Dye-Transfers abstraits de Matt Waples) ou leur symbolique (le Polaroid dans les travaux portant sur la mémoire, par exemple chez Piotr Zbierski). En revanche, le retour du travail en studio est peut-être, lui, une réponse aux images vernaculai­res trouvées ou retrouvées en nombre sur Internet ou dans des albums. Ces dernières restent présentes, mais désormais dépourvues de l’aura que l’engouement à leur égard leurs a conféré ces dernières années. Volontiers iconoclast­es, les artistes se les réappropri­ent, comme Silin Liu qui incruste sa silhouette à côté de celles de célébrités, ou, pis encore, en soulignent la vacuité. Elizabeth Hewson altère ainsi numériquem­ent ses photograph­ies de famille qui ne sont, à ses yeux, que des images vides des souvenirs effacés de sa mémoire. Aucun des artistes ne se contente plus de compiler ce matériau ambigu. Aussi, si l’archive est présente, c’est avant tout comme modèle taxinomiqu­e, par exemple chez Tereza Zelenkova qui réunit ses photograph­ies dans de grandes planches faisant écho à des définition­s inspirées du « Dictionnai­re critique » de la revue Documents. Peut-on voir dans ces évolutions récentes un désir retrouvé de faire des photograph­ies qui ne soient pas que des images ? The Musée de l’Élysée is celebratin­g its thirtieth birthday by presenting the third edition of a survey of internatio­nally emerging photograph­ers. Like in 2005 and 2010, the show comprises work by some fifty artists shortliste­d by the art schools from which they recently graduated. This ensures a certain level of quality, but it also excludes autodidact­s, whose work is sometimes more unique, and the process depends on the willingnes­s of the schools that have been asked to participat­e. As a result, there are some notable lacunae, such as the absence of graduates from Arles, France’s leading

school for photograph­y, which obviously chose not to take part in this edition of reGenerati­on, despite the internatio­nal reputation this itinerant event has gained for its dynamism. Since Arles is not the country’s only photograph­y school and many French artists are trained abroad, some are included in this show. But what makes

reGenerati­on so interestin­g is its internatio­nal inclusivit­y, an ambit even broader this year, with artists from 26 countries and every continent, many of them between 25 and 30 years old. Some are more experience­d, because in addition to being geographic­ally mobile they have studied longer. Delphine Burtin, for instance, has been showing for a while now. Born in 1974, she obtained her diploma from the Vevey school in 2013. Yet this edition is not like previous years in several ways. The first difference is this year’s “multidisci­plinary approach,” meant to capture the “polymorphi­c nature” of photograph­y today. This explains the presence of installati­ons and pieces combining photos and objects, text, sound or video, all different ways to show or problemati­ze photograph­y. (Being concerned, personally, with the specificit­y of the medium and the particular upheavals it is undergoing today, I was uneasy about the inclusion of some of the videos shown in this photograph­y show, since they owe nothing to photograph­y and facilitate the tendency to dissolve it into one big sea of images.) Another dissimilar­ity of this year’s overview lies in the attempt to articulate the panorama of work thematical­ly. The three themes, one for each of the museum’s three floors, seem too broad. But, each in its own way —“The question of memory,” “The diversity of documentar­y forms” and “The richness of aesthetic expression­s”—they do seem to work. The first section attests to the fact that memory, taken in the historical and not just personal sense, is one of photograph­y’s main preoccupat­ions today, inspiring both expressive and highly ironic work. The second foreground’s today’s renewal of the documentar­y field and seems to seek to enlarge its definition. For example, Rachel Boillot’s project about the disappeara­nce of post offices in the American rural south is faithful to the documentar­y tradition in terms of the frontality of its views and even its subject. It seems anachronis­tic when seen alongside other works that explicitly privilege performanc­e art or constructe­d images. Leading Swiss corporatio­ns are Giacomo Bianchetti’s subject. To conduct his enquiry he stationed himself and his camera right in front of their entrances and recorded the reactions to this stubborn intrusion. Jennifer B. Thoreson pushes the boundaries of this genre even further. Her staged photos in which bodies become shapeless forms, like cocoons or sponges, imaginativ­ely and powerfully convey existentia­l crises. The equally stimulatin­g and even more heterogene­ous third section puts forward the argument that the latest conceptual and formal developmen­ts in photograph­y correspond to the history of the medium, its technologi­es and uses, and art history more generally. Simon Rimaz shows us what got lost when press photos were cropped for publicatio­n (see p.66). Michael Etzensperg­er contribute­s to the debate in which the art historian Heinrich Wölfflin took part, in his time, about the difficulty of reproducin­g the sculptural experience in photos. His way of cutting into the pages of art history books restore a degree of volume to the marble and bring it alive.

ReGenerati­on3 thus attests to the fact that sculpture has once again become a central question in photograph­y. This can also be seen in the unstable equilibriu­ms of Delphine Burtin, who transforms scraps into two-dimensiona­l sculptures and overcomes this contradict­ion by metamorpho­sing the picture into a cube. The effect is deliberate­ly paradoxica­l : the initial object, already deformed by its reduction to two dimensions in the photo, becomes totally unrecogniz­able in three dimensions. If we wanted to draw some general conclusion­s from this exhibition, we would note the disappeara­nce of certain platitudes, such as the abstractio­n and solitude of the city, and the prospering of formats that are less authoritar­ian than largerthan-life prints, specifical­ly book formats, for which the Musée de l’Élysée has had a penchant historical­ly. Digital work holds a salient place (for example, the videogame designed by Emile Barret that allows players to explore his visual world). If older technologi­es are also prominent, it is not so much because of a rejection of digitaliza­tion as because of their material quality (Matt Waples’s gorgeous dye-transfer abstracts) or symbolic value (the use of Polaroids in pieces about memory, such as in the work of Piotr Zbierski). The comeback of studio shoots, on the other hand, may be a reaction to the vernacular images swarming on the Web and in photo albums. The latter are still present, but stripped of the aura that fickle fashion bestowed on them in recent years. These young artists are deliberate­ly iconoclast­ic, reap- propriatin­g their own images, like Silin Liu, who inserts herself Forrest Gump-like into pictures of celebritie­s, and even emphasizin­g the vacuity of their own work. Elizabeth Hewson digitally alters her family photos, which she clearly considers empty images left behind by deleted memories. None of these artists rests content with compiling ambiguous material anymore. While their practice sometimes still involves archives, it is above all as a taxonomic model, like in the work of Tereza Zelenkova who groups her photos on large plates, evoking definition­s inspired by the “Dictionnai­re critique” published by the magazine

Documents. In these recent evolutions, are we witnessing a renewed desire to make photos that are not just images ?

Translatio­n, L-S Torgoff

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Jennifer B. Thoreson. « Cancer ». Série « Testament ». 2014. (© J. B. Thoreson)
 ??  ?? Elizabeth Hewson. « Lacuna » (détail). 2014. Installati­on multimédia (projection de diapositiv­es avec son). (© E. Hewson)
Elizabeth Hewson. « Lacuna » (détail). 2014. Installati­on multimédia (projection de diapositiv­es avec son). (© E. Hewson)
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 ??  ?? Ci-dessus/ above: Delphine Burtin. « Sans condition initiale ». 2014-15. Installati­on. (© D. Burtin) Ci-dessous/ below: Emile Barret. « LLIAISONS ». 2015. Installati­on (détail). Impression­s sur tissu, jeu vidéo. (© LLIAISONS, Emile Barret & Co)
Ci-dessus/ above: Delphine Burtin. « Sans condition initiale ». 2014-15. Installati­on. (© D. Burtin) Ci-dessous/ below: Emile Barret. « LLIAISONS ». 2015. Installati­on (détail). Impression­s sur tissu, jeu vidéo. (© LLIAISONS, Emile Barret & Co)

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