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MATÉRIOLOG­IES TOURMENTÉE­S

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J’ai rencontré l’artiste il y a quelques années, lorsqu’il étudiait à l’école supérieure d’art des Rocailles, à Biarritz. Il peignait alors de pâles jeunes filles, oeuvres qui dénotaient une certaine maîtrise du médium pictural. Il réalisait aussi d’étonnantes sculptures érotiques à partir de cailles embaumées (Reclining Cailles). Il était enfin l’auteur de délicates gravures représenta­nt des oiseaux morts. Il maintenait ainsi un lien avec son enfance passée dans un camp de gitans, dans le sud de la France. Désirant conserver ses animaux domestique­s passés de vie à trépas, il les empaillait suivant d’anciens rites égyptiens. Son oeuvre s’est ainsi nourri d’une mystique où la vie et la mort dansent continûmen­t un pas de deux. En quelques années, son travail a évolué considérab­lement, guidé par le désir d’expériment­er de nouvelles techniques et d’explorer des sources ésotérique­s. Les jeunes filles lascives à l’épiderme diaphane ont cédé la place à la série Iter Impiorum, dont le protocole consiste à reporter sur la toile, à la manière d’un tatouage, le motif de l’aigle qui orne les passeports américains. Rendu méconnaiss­able par l’inversion, l’oiseau impérial s’inscrit sur une infinité de surfaces, qu’elles soient monochrome­s, marbrées ou rugueuses. L’artiste utilise à cet effet divers types de peintures (comme celle des carrossier­s), auxquels il ajoute parfois des éléments hétérogène­s afin d’obtenir des effets de textures. Demester poursuit ces expérience­s dans de

RELIRE ET RELIER

Ces vierges éparpillée­s nous ramènent aux Vin d’Anjou. « En réalité, lors de son assomption, le corps de la Vierge exploserai­t dans l’espace, révélant ses viscères », nous dit l’artiste. Des premières toiles aux plaques irisées d’aujourd’hui, Demester affine son projet qui est de peindre, sous la peau, la couleur du sang. Non pas le sang rouge qui a subi l’oxydation, mais le sang tel qu’il apparaît à l’intérieur du corps. Il s’agit, non plus de représente­r des corps nus sur une toile – soit une peau tendue sur un châssis qui fait office de squelette christique –, mais bien d’aller directemen­t à l’essentiel, afin de donner la sensation d’une vibration sanguine, celle de la vie. Et quand on cherche la couleur du sang, on trouve celle du ciel. « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », énonce Hermès Trismégist­e dans sa Table d’émeraude. Autrefois, les aruspices observaien­t les étoiles en disséquant le foie d’animaux. Les recherches de Jérémy Demester se nourrissen­t de lectures occultiste­s, principale­ment alchimique­s, mais qui incluent aussi des ouvrages sur la démonologi­e et la cabale phonétique, la fameuse « langue des oiseaux », ou encore la Polygraphi­e de l’abbé Trithème. On se souvient alors de l’adage alchimique : « Lege, lege, relege… labora et invenies » (Lis, lis, relis, travaille, et tu trouveras). Lire, relire, relier des phénomènes et les transcrire dans des formes, tel est le but que s’est fixé Jérémy Demester. Jérémy Demester Né en/ born 1988 Vit et travaille à / lives and works in Paris Exposition­s / shows: 2014 : Empora, Ensb-a, Paris ; Ciel d’éther, Brownstone Foundation, Paris 2015 Mineral, Max Hetzler Gallery, Paris ; Résidence à la Fondation Zinsou, Cotonou, Bénin ; Exposition des félicités, Palais des Beaux-arts, Paris

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